Arts Visuels

Valery Vrady, le fou de peinture

Par CAROLINE GAUJARD-LARSON

Au coeur de Moscou, à deux pas de la prestigieuse galerie Tretyakov, il travaille à ses toiles depuis plus d'un quart de siècle. Né en 1942 à Novorossisk, sur les bords de la mer Noire, Valery Vrady ne se destinait pas à la peinture. Il y a finalement consacré sa vie.


Valery Vrady dans son atelier moscovite fin 2016  (Photo Kseniya Yablonskaya pour La Dame de Pique)

Dans une ancienne maison plantée dans l’hypercentre de la capitale russe et à quelques encablures des rives de la Moskova, Valery Vrady vit, travaille et reçoit ses nombreux hôtes. Des hôtes que l’agencement de cet atelier inhabituel émerveille à tous les coups, à n’en pas douter.


Dans l'atelier du peintre Valery Vrady (Photo Kseniya Yablonskaya)

« Cette maison, c’est une ancienne écurie », décrit l'artiste sur le pas de sa porte. « C’est un bâtiment du XVIIIème siècle. Au départ, la maison n’avait pas d’étages, mais après l’incendie qu’il y a eu ici en 1995, j’ai tout reconstruit. Ça, c’est la vigne que j’ai rapporté du sud de la France, je l’ai plantée ici il y a cinq ans, et maintenant ça donne ça », indique Valery Vrady, en pointant du doigt le large feuillage qui recouvre désormais un pan entier de la bâtisse. « Et ça – Vrady indique du doigt une copie de la Joconde – c’est tout ce que j’ai pu prendre au Louvre. Je peux vous montrer les toilettes, vous voulez ? » Allons pour la visite des toilettes ; le peintre se précipite à l'intérieur, referme la porte derrière lui et se colle le visage tout contre – un effet d'optique lui fait des yeux énormes derrière une petite vitre : « salut, qui est là? », rigole-t-il. « Et là-bas une fille est tombée, vous voyez ? », dit Vrady comme il tend le bras vers la cuvette d'où sortent de longues jambes plastiques chaussées de patins à roulettes.


Chez le peintre Valery Vrady (Photo Kseniya Yablonskaya)

C'est, somme toute, par accident qu'est né le peintre Valery Vrady. Enfant du communisme, l'artiste russe a aujourd'hui 74 ans. À 16 ans il n'a jamais tenu un pinceau. À cette époque – nous sommes dans les années qui suivent la mort de Joseph Staline – le jeune Valery apprend à conduire des trains. Il pratique aussi la boxe et le tir à la carabine. Vient le temps du service militaire, Valery sert à Lviv, dans l'ouest de l'actuelle Ukraine où ses parents se sont installés quelques années plus tôt. Son père est directeur adjoint de la gare et sa mère travaille pour le comité du Parti communiste. Sa vie d'adulte est déjà entamée que le jeune homme va faire une rencontre décisive.

« Je ne savais pas du tout que j’étais capable de dessiner, se rappelle l'artiste, jusqu’à ce que, tout à coup, je tombe amoureux d’une fille dont le père était artiste, un Ukrainien. Elle m'a invité chez elle, continue-t-il, j’ai passé du temps là-bas, et son père m'a proposé d’essayer de peindre un portrait, et j’ai peint ! » À cette époque, Valery Vrady a 24 ans et veut entrer à l'université, à la faculté de physique. « Donc, en l’espace d’une heure, je réalise mon premier portrait à l’huile, explique Vrady. Et le père de cette fille me dit, « ce n’est pas possible, vous trichez ! vous me dites que n’avez jamais appris la peinture ! » J’ai épousé sa fille et j’ai commencé à peindre souvent… Trois mois plus tard, je suis entré à l’Ecole des Beaux Arts de Lviv (ville d'Ukraine occidentale, ndlr). Je peignais comme un fou, tellement j’aimais ça. J’ai tout mis de côté, tous mes travaux d’avant, et je me suis mis à la peinture. Depuis que j’ai 24 ans, je ne fais que ça, peindre, ça fait déjà 50 ans. »


Dans l'atelier du peintre Valery Vrady (Photo Kseniya Yablonskaya)

50 ans de peinture, et près d’une centaine d’expositions en Russie, en Allemagne, en Autriche mais aussi et surtout, en France depuis 1980, à Paris, à Nice, où il s’adonne principalement au portrait. Plus récemment, en 2015, Le Louvre choisit de montrer deux tableaux du peintre. En février dernier, à Paris encore, une autre de ses dernières toiles était au Grand Palais. Au-delà des opportunités d’exposer, Valery Vrady nourrit un lien indéfectible avec la capitale française, qu’il appelle son premier grand amour, et ce depuis le premier séjour, qui coïncide avec sa rencontre, suivie d’une longue amitié, avec la famille Renoir.

« A Paris – ses yeux pétillent de plus belle – j'ai réalisé environ 300 portraits. Ma première rencontre à Paris, ça a été la famille Renoir. » Comme souvent, c’était « par accident, dans un restaurant près de l'Opéra, j’ai aperçu une belle femme au côté de l'ancien vice-ministre français de la Culture. Ils étaient en train de dîner, et je leur ai demandé si je pouvais me joindre à eux. J’avais un interprète, je ne savais pas le français. Et durant 25 à 30 minutes, j’ai réalisé un portrait de cette dame, en haut duquel, pour m’amuser, j’ai représenté un chat noir. » Après quoi, Vrady tend le portrait terminé. « Tout à coup, elle a commencé à devenir agitée et à faire appeler je ne sais qui », sourit l'artiste. « Je demande à Anya de traduire, que se passe-t-il ? Peut être qu’elle n’aime pas le portrait ? Alors Anya me dit que cette dame s’appelle Mme Renoir et qu’elle explique autour d’elle qu’un peintre russe un peu fou, arrivé de Sibérie, vient de faire son portrait. »


Valery Vrady, adepte du portrait (Photo Kseniya Yablonskaya)

On s'en doutera, Renoir fait partie des peintres qu'affectionne Vrady. De là à dire que Renoir ou d'autres l'ont orienté dans sa quête picturale… Valery Vrady préfère se libérer de toute influence, personne ne le guide. Pour lui, c'est même une garantie pour préserver sa liberté d'artiste.

« Je suis peut-être la seule personne, le seul imbécile, qui n'ait pas d'idoles », explique-t-il pas peu fier. Il cite la Bible : « il est écrit : ne te forge pas d'idoles, c’est la chose la plus importante. L’Homme doit être tourné vers l'intérieur et non vers l'extérieur, il doit s’occuper de lui-même, il doit découvrir ce qu’il a dans la tête. Mais il y a quand même des artistes qui me plaisent vraiment : Velázquez, Vermeer van Delft. J'aime tous les impressionnistes français, Degas et Renoir, je les aime beaucoup. Mais cela ne veut pas dire que ce sont mes idoles. Mon idole c’est mon but : réaliser quelque chose de plus grand. Pour laisser quelque chose sur terre après ma mort. C’est ça mon idole.»

Car Valery Vrady est « un homme libre. Oui, j’estime que je suis un homme libre. On a appelé « impressionnisme » ce que j'ai fait à Paris, c’était « la première impression» si l’on peut dire. Mais je m’intéresse à beaucoup de choses, que ce soit l'art abstrait ou les installations, j’ai aussi réalisé des performances et beaucoup d’autres choses. » L’objectif de Valery Vrady, c’est aussi que ses peintures soient vues par le plus grand nombre. C’est de faire le plus d’expositions possibles, et bien sûr, d’essuyez les critiques : « je veux que la majorité des gens voient ce que je fais, assure-t-il. Parce que je crois que chaque toile trouvera son admirateur, son spectateur. Je ne suis guidé par personne. Le monde est si intéressant, dit-il ; le lever, le coucher de soleil, eh bien, tout est intéressant dans ce monde. Et je ne sais pas si j'ai assez de temps pour intégrer tout cela. Et ce qui dévore le monde de nos jours – c’est la vanité, parce que dans ce monde, tout va de plus en plus en plus vite, toutes ces informations ... je n'aime pas les ordinateurs, c’est pour les affaires, uniquement. »


Chez le peintre Valery Vrady (Photo Kseniya Yablonskaya)

Dans l’une des pièces de sa grande maison, Valery Vrady conserve une partie de ses toiles, des toiles très anciennes, celles des débuts, d’autres toutes récentes. Avec le temps, le peintre voit plus grand.

« Eh bien, je préfère les grands formats, confie-t-il, parce que la toile est plus impressionnante si elle est grande, et qu’il y a de l’espace, de la profondeur. La toile ne peut pas être petite. Il n’y aurait rien dedans. Je vais vous montrer une peinture que j'expose au Grand Palais ce mois-ci [février, ndlr]. Elle est consacrée aux événements du 11 Septembre aux Etats-Unis. On ne m’a jamais permis de la montrer… Voilà, montre-t-il, c’est comme ça que je représente cet événement. Et comme au Grand Palais il va y avoir une exposition d’artistes indépendants, j'y vais. »


Valery Vrady, ici avec une création un peu particulière, confectionnée par l'artiste pour l'anniversaire de son chien.  (Photo Kseniya Yablonskaya)

L’artiste russe parle volontiers de son art comme d’un jeu, un jeu de couleurs. Valery Vrady peint beaucoup, tout le temps. C’est en peignant que l’inspiration lui vient et non l’inverse. À toute heure. « Le jour et la nuit. Cela dépend, mais le mieux pour moi c’est l'après-midi. Je commence quelque chose dans la journée, puis je continue le soir, détaille Vrady. Je dors en général deux heures pendant le jour et je divise ainsi la journée en deux parties. Et à deux, trois heures du matin, je me couche, et au matin je me lève. Et comme ça tout le temps, avec le même rythme. En fin de compte mon usine fonctionne en continu, je suis une usine. »

Une usine qui n’en finit pas de fonctionner. Et quand Valery Vrady ne peint pas, il tient salon. Il organise des rencontres, des ateliers. Il faut dire que sa maison-atelier est le lieu rêvé, un lieu qui regorge d’objets d’art, de gadgets sur-mesure, de souvenirs, qu’un seul regard ne suffit jamais à embrasser.


Dans l'atelier du peintre Valery Vrady (Photo Kseniya Yablonskaya)

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