Arts Visuels

Les « Trois vies d'Agnès Varda » s'exposent à Moscou

Par Julian Colling

L’exposition sera finalement posthume, la réalisatrice icône de la Nouvelle vague nous ayant quittés en mars dernier. Jusqu'au 22 mai 2019, le MAMM de Moscou met en vedette les photographies et installations d'Agnès Varda, dont la fille, Rosalie, a fait le déplacement pour l'inauguration. L'occasion pour La Dame de Pique d'échanger avec elle au sujet de son artiste de mère et de son héritage protéiforme.

« Agnès avait beaucoup d’amis russes », se souvient Rosalie Varda, 60 ans aujourd’hui. « Elle était notamment très proche d’Andreï Kontchalovski (collaborateur de Tarkovski à ses débuts, NDLR), elle s’était rendue plusieurs fois en Russie pour présenter son travail. » Et même en URSS, dès le début des années 1960 selon sa fille, en compagnie du mythique et mystérieux Chris Marker.

Les débuts d’Agnès sont d’ailleurs la pierre angulaire de cette vystavka moscoviteLes trois vies d’Agnès Varda se concentre ainsi sur la première facette, méconnue, de l’artiste : Varda photographe.


Rosalie Varda, fille d'Agnès, a inauguré l'exposition à Moscou en avril dernier (Photo Kseniya Yablonskaya pour LDDP)

« C’est par là qu’elle a commencé, ça représentait beaucoup pour elle. Elle a continué à photographier toute sa vie, on ne lâche jamais vraiment la photo », raconte Rosalie. La vingtaine à peine, elle devient à la fin des années 1940 photographe du festival de théâtre d’Avignon, par l’entremise du grand Jean Vilar que l’on retrouve, sublime sur scène, dans l’exposition. On y voit également son goût, déjà, pour les plages (voir son documentaire autobiographique Les plages d’Agnès, 2008), elle qui a grandi sous le soleil de Sète.

Plus tard elle monte à Paris et s’installe rue Daguerre, où elle expose ses photos pour la première fois, en 1954, dans la cour de son appartement-atelier. Elle y invite ses amis par une affiche promettant un bon goûter… sans même mentionner les photos !

La simplicité et l’auto-dérision, déjà. « Elle ne se prenait pas au sérieux, ne donnait pas de leçons, elle était plutôt dans la fantaisie et restait libre, curieuse. Elle est demeurée accessible et je crois que les gens voyaient cela, ça l’a rendue populaire », pense Rosalie Varda.


L'exposition consacrée à Agnès Varda se tient au MAMM à Moscou jusqu'au 22 mai 2019 (Photo Kseniya Yablonskaya pour LDDP)

Dans la capitale, elle est rapidement intégrée à des cercles artistiques de gauche, rencontre l’amour de sa vie Jacques Demy. Elle est contemporaine du photographe Cartier-Bresson, connaîtra par la suite Raymond Depardon. C’est donc logiquement qu’elle se rend, dès 1958 - un an après "l’oeil du siècle" Cartier-Bresson - en Chine communiste, photographiant familles et enfants de la ruralité chinoise. Une série magnifique. Peu après, la lectrice de Dostoïevski ira d’ailleurs en URSS avec Marker (un autre amoureux des chats, auxquels Varda a consacré une série toute en tendresse, visible au MAMM).

Avant-gardiste et populaire
En 1963 elle se rend, sur invitation une nouvelle fois, à Cuba, où elle s’attache à capter le mouvement, la danse, la musique. « Elle s’intéressait déjà aux femmes, aussi », relate sa fille, avec qui elle est restée très proche et complice jusqu’au bout - et à qui elle a donné l’envie d’une carrière artistique. Varda réalisera deux films avant-gardistes et, d’une certaine manière, féministes : Cléo de 5 à 7 (1962) et plus tard Sans toit ni loi (1985), introduisant des personnages féminins déambulant et s’appropriant l’espace public. Une rareté.


L'exposition posthume se tient au MAMM de Moscou jusqu'au 22 mai 2019 (Photo Kseniya Yablonskaya pour LDDP)

Le féminisme a toujours fait partie de la vie d’Agnès Varda, assure sa fille. « Elle n’a jamais mis sa séduction en avant et a toujours milité pour la parité, l’égalité des salaires et des moyens de production pour hommes et femmes… Mais pour elle, le féminisme devait être présent au quotidien, pas victimaire mais joyeux. » A son image, en somme.

L’exposition Les trois vies… présente également une série datant de l’époque où elle vivait à Los Angeles avec Jacques Demy, centrée sur les militants afro-américains - dont de nombreuses femmes - pour les droits civiques. Sur les Black Panthers aussi, ainsi que les manifestants anti-guerre des campus californiens. Sans trop y toucher, Varda a été au centre des mouvements de l’époque.


L'installation de l'exposition consacrée à Agnès Varda au MAMM de Moscou (Photo Kseniya Yablonskaya pour LDDP)

« Ses photos précèdent en quelque sorte ce qu’on a trouvé dans ses films », explique Rosalie. « Les portraits, les femmes, le documentaire, les anonymes, la fiction, la fantaisie. Une oeuvre protéiforme. Elle se considérait comme une artiste globale, pas cantonnée à un seul médium. »

Elle poursuit : « j’ai eu beaucoup de chance d’avoir une mère artiste, qui a su rester simple. J’espère que cette expo permettra aux Moscovites de venir découvrir ce pan moins connu de son travail. »


Installation d'Agnès Varda au MAMM (Photo Kseniya Yablonskaya pour LDDP)

L’exposition présente d’ailleurs, encore plus étonnantes, de petites installations de Varda la plasticienne : des cabanes miniatures, faites entièrement de pellicules de films. Avec, à l’intérieur une serre, des tournesols… On l’imagine là, Agnès Varda, tranquille, en train de jardiner. Avec, autour, peut-être, des chats.

L’exposition Les trois vies d’Agnès Varda est visible au Musée des Arts Multimédia de Moscou (16, Ostozhenka ulitsa) jusqu’au 22 mai 2019.

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