Voyage

Stop ! Je vais dans l'Altaï !

Par RAPHAËLE BLAIX

« Vous voulez visiter l’Altaï sans voiture ?! » C'est ce que vous demanderont, interloqués, les Russes à qui vous confierez votre projet de voyage. Difficile voire impossible selon eux d’apprécier l'Altaï autrement qu'en voiture. Nous on a fait du stop.

Vallée de la rivière Tchulychman

Les forums de voyage russes ne feront que confirmer cette affirmation : l’Altaï s’explore en voiture, un point c’est tout ! Ce n’est d’ailleurs pas le choix du moyen de transport qui est débattu sur les forums, mais la possibilité d’accéder en voiture à tel ou tel endroit isolé. Quant à faire, toujours en voiture, le tour du lac Teletskoe en un minimum de temps et ce malgré l’absence de route, voilà qui est par exemple source de fierté.

Vive l’improvisation

A trop écouter votre entourage, vous vous déciderez à louer une voiture. Vous serez libres d’aller où bon vous semble, de partir quand cela vous chante et surtout, vous n’aurez de comptes à rendre à personne. Mais si l’idée d’un voyage plus folklorique vous tente, vous partirez avec votre sac à dos et improviserez sur place. Dans les débuts, les aléas de l'auto-stop seront certes quelque peu pesants – et si, sur le bord de la piste, personne ne s’arrêtait ? C'est pourtant en vous en remettant aux autochtones que vous passerez les moments les plus inattendus et sans doute, les plus marquants.

Pour partir à la découverte de l’Altaï, on peut choisir d'emprunter des bus qui desservent les routes principales depuis Novossibirsk jusqu'à Gorno-Altaïsk, capitale de la république de l’Altaï. Quelques bus et marchroutkas relient ensuite cette ville à Koch-Agatch ou à Tchemal. Mais si vous choisissez l'option de la débrouillardise, le relatif inconfort sera vite compensé par la richesse des rencontres, les situations insolites et de beaux moments de partage.

Le cap Kyrsaï et le lac Teletskoe

Traverser le lac Teletskoe en bateau

Le lac Teletskoe est le plus grand lac de l’Altaï, ce qui lui vaut le surnom de Baïkal de l’Altaï. Atteindre son extrémité nord est plutôt aisé : quatre heures de bus suffisent à relier Gorno-Altaïsk à Artybach, un village de pécheurs, via une jolie route qui serpente. Pour rejoindre le sud, les choses se compliquent légèrement : plus de route goudronnée ni de ligne de bus. En voiture, un spectaculaire détour s’impose car la seule piste existante contraint l’automobiliste à transiter par Oulagan, petite ville entourée de montagnes, laquelle n'est accessible que par Aktach.

Plus rapide et plus simple : prendre un bateau pour traverser le lac. Facile à première vue… Reste à trouver un bateau ! Des locaux proposent bien des excursions aux touristes qui vous déposeront volontiers de l'autre côté du lac pour 1 500 roubles (35 €) par personne. Seulement voilà, ces excursions ne sont pas très fréquentes à Artybach et lorsque les touristes se font rares, la seule solution consiste à louer un bateau pour la sympathique somme de 10 000 roubles (230 €). Les plus patients peuvent toujours attendre le lendemain, en espérant que des touristes se décident à partir en excursion. Si vous êtes matinal, vous pouvez toujours arpenter les rives du lac dès l'aube : il arrive en effet de rencontrer une bonne âme prête à vous amener à destination, à condition toutefois de payer cher ou d’avoir de bons talents de négociateur ! Une fois la question du transport réglée, vous n’aurez plus qu’à savourer les 70 km de traversée en admirant les falaises touffues qui bordent le lac jusqu’à l’extrême sud, au cap Kyrsaï.

Aktach

Dans la vallée de Tchulychman en UAZ ou en pick-up

Pour quitter le cap Kyrsaï en direction du sud, il existe une piste sablonneuse le long de la rivière Tchulychman, laquelle parcourt la vallée jusqu’au col Katu-Yarlyk. Ce col est l’unique moyen de s'extraire de cette vallée encaissée avec une montée vertigineuse de 3,5 km. Et il n'est pas rare qu'un nuage de poussière masque d’effrayantes épingles à cheveux. Ce jour-là, les 30 km séparant le cap Kyrsaï du petit village de Koo se feront paisiblement à bord d’un luxueux pick-up orange vif, en compagnie de Volodia, d’Aliona et de leur fils Vlad, tous trois venus de Tomsk. Les moelleuses banquettes de cuir feraient presque oublier les ornières de la piste cabossée.

A Koo, village de deux cent âmes, les produits frais sont rarement disponibles : la ville la plus proche, Oulagan, est à deux heures de route et le village n’est pas fourni en électricité – les villageois utilisent un groupe électrogène quelques heures par jour. Quant à consommer de la viande, cela signifie généralement qu’un cerf ou un mouton vient d'être tué, une information joyeusement relayée par un écriteau placé sur la porte de la maison.

Dans la yourte de Tatiana

Tatiana est bergère de profession. Elle tient à Koo un petit magasin chaque été. Dans la yourte attenante à son magasin et dans laquelle elle ouvrira prochainement un café, Tatiana vous régale avec des beliachis au chou, des biscuits, du thé et du miel de la vallée. Si vous lui demandez son avis, elle vous conseillera de vous poster le lendemain matin dès six heures sur le bord de la piste. « Chaque jour, cinq ou six voitures font la route jusqu’à Oulagan, explique-t-elle. Agitez la main. Si les locaux ont de la place, ils s’arrêteront ».

Le lendemain, quelques minutes après l'heure dite, un nuage de poussière s’élève dans la plaine, signe d'un véhicule à l'approche. Et nous voilà assis sur le plancher arrière d’un UAZ, ce véhicule tout terrain de conception soviétique, ballottés de tous côtés sur la piste cahoteuse qui mène à Oulagan. Par la suite, c'est en partageant le véhicule d'une banquière que nous atteignons Koch-Agatch, à la frontière mongole.

A quelques kilomètres de Koch-Agatch

Avec Mikhaïl dans les environs de Koch-Agatch

C’est ici, un jour de pluie, que nous faisons la connaissance de Mikhail, un Kazakh d’une cinquantaine d’années qui vit avec sa famille dans cette partie de l’Altaï. Le lendemain, décision est prise de parcourir avec lui les environs de Koch-Agatch. Direction, la ferme de son beau-frère, isolée dans la steppe. Chez lui, le lait de jument fermenté – on dirait du champagne tant il pétille – accompagne des pâtisseries kazakhes et du fromage de jument si sec qu'il est dur comme de la pierre. Mieux vaut avoir de bonnes dents !

De retour sur la route principale, nous poussons jusqu’à Tachanta, dernière ville avant la Mongolie. À son approche, les garde-frontières surveillent la zone ; nul ne sait précisément à partir d'où il est nécessaire de présenter un laissez-passer. Sur la route du retour, aux alentours de Koch-Agatch, nous marquons l'arrêt dans le village kazakhe de Jana-Aoul. L'occasion de visiter le musée des Kazakhs de l’Altaï. Là, seul le médecin est russe, nous confie l’imam de la mosquée : tous les autres habitants sont des Kazakhs musulmans.

Le lendemain, un grand soleil nous fait troquer l'auto-stop contre les chaussures de marche. Plus haut dans la montagne, après quelques heures de marche, nous apercevons au loin un village de yourtes. A bien y regarder, cette vingtaine de yourtes blanches bougent légèrement, elles se déplacent même. Les yeux fixés sur ce qui semble être des yourtes itinérantes, l'escalade se poursuit jusqu'à ce que ces yourtes s'avèrent être des chameaux… A peine effrayé, le troupeau de bêtes imposantes a surveillé notre ascension. Arrivés à leur hauteur, nous remarquons un peu plus loin un autre troupeau, pas des chameaux cette fois-ci, mais des yacks. Des merveilles accessibles à condition de quitter la route.

Jana-Aoul

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