Arts Visuels

Renaissance Antarctique

Par GUILLAUME HOUSSE

Le 17 mars 2017, un navire d’exploration artistique quittera les côtes d’ Ushuaïa avec à son bord des scientifiques, des philosophes, des poètes et des artistes. Leur destination : l’Antarctique ; leur mission : créer et penser le monde à partir d’une feuille blanche immaculée. Jusqu’à donner naissance à une Biennale de l’Antarctique, emmenée par l'artiste russe Alexandre Ponomarev.


Photo DR

Le projet de Biennale de l’Antarctique, quoique collectif, repose avant tout sur les épaules du capitaine de l’expédition. Alexandre Ponomarev, par ailleurs artiste à la personnalité exceptionnelle, est marin et ingénieur naval de formation. Il fait tantôt penser à un Léonard de Vinci des temps modernes, tantôt au navigateur Olivier de Kersauson, comme lui imposant, les cheveux mi-long et grisonnants. Ajoutez à cela une tendance à déclamer de la poésie à tout bout de champ et un regard qui ne concède rien, dans lequel on sent qu’il est possible pour l’homme d’entreprendre les projets les plus fous.


Alexandre Ponomarev lors de l'une de ses expéditions dans l'Antarctique (Photo DR)

De la ténacité il en a fallu à Alexandre Ponomarev pour réussir à organiser cette expédition. C’est une véritable académie florentine moderne qui se réalise aujourd’hui sur les eaux. Cent personnes – équipage, artistes, philosophes, océanologues, mécènes et poètes – vont naviguer pendant deux semaines environ au milieu des glaces. Le groupe sera de passage et rien d’autre : aucun des participants ne laissera la moindre trace de son passage sur les lieux, tandis que ces derniers réaliseront des œuvres inspirées par l’Antarctique, des performances aussi. Tous réfléchiront, débattront, partageront de la poésie, des idées. Les philosophes échangeront avec les scientifiques. Personne, jusqu’à l’équipage ne sera tenu à l’écart du processus. Pour l'instant, ce qui ressortira concrètement de cette expédition, nul ne peut le dire, mais le symbole en est extrêmement fort.


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Depuis trois ans déjà, l’Antarctique possède, grâce à Alexandre Ponomarev, un pavillon à la Biennale de Venise. Des discussions et des expositions dédiées sont également organisées régulièrement partout dans le monde, à New York, Bâle, Moscou et dans d’autres centres artistiques importants. Mais l’artiste veut aujourd’hui aller plus loin et mise beaucoup sur ce voyage. « J’ai déjà voyagé quatre fois avec des expéditions scientifiques dans cette région, confie l’artiste. C’est un espace bouleversant en soi, mais passionant également par son statut. L’Antarctique ne possède ni armée, ni monnaie, ni gouvernement. Il est le seul territoire parfaitement vierge au monde, une feuille blanche1. »


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Une « feuille blanche » qui semble essentielle aujourd’hui à la quête d’Alexandre Ponomarev, tant notre époque est celle de « la remise en cause de nos certitudes ». « Cette feuille blanche est essentielle aujourd’hui, est convaincu Ponomarev. Sur quel gouvernement, sur quelle structure pourrait-on se reposer aujourd’hui pour penser l’homme, la civilisation ?  De nos jours, seul l’artiste peut avoir un regard global sur le monde, apporter sa réponse. » La question reste donc pour l’instant ouverte, quant à la forme que prendra le partage de cette expédition en Antarctique avec le public. Si cette Académie n’existait que pour elle-même, elle perdrait tout son sens. Mais comme le dit Alexandre Ponomarev, « l’expédition n’est pas la fin du projet. C’est son véritable commencement. L’important est de donner la possibilité à tous ces gens de réfléchir et de créer ensemble. »


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Cosme de Médicis, Marsile Ficin et les grands noms de la Renaissance ont tous rêvé l’Académie comme une réponse aux questionnements sur l’Humanité et la civilisation. Pour réunir toutes les intelligences et les connaissances et pour permettre à l’Homme de renaître à l’image de son idéal antique. Mais cette Académie ne pouvait jadis être construite qu’au cœur de la ville, de Florence et de ses marchands, de son fanatisme religieux et de ses rivalités politiques. Aujourd’hui, somme toute, le rêve de Ponomarev est le même que celui de l’Académie, à la différence qu'il est possible pour l’artiste d’aller ailleurs, de s’éloigner du monde.  « Nulle part ailleurs qu’en Antarctique, l’expression coupée du monde n’a un sens plus réel, assure-t-il. Pas d’Internet, pas de télécommunications, pas d’argent, pas de civilisation ; rien que la glace et la mer ». La mer qui joue évidemment un rôle prépondérant dans la vie et dans l’œuvre de l’artiste. Alexandre Ponomarev fait de l’art pour les oiseaux, comme Saint-François, dit-on, leur prêchait la bonne parole. Ses plus grandes œuvres continuent d’exister bien après que les invités de ses vernissages ont quitté les lieux. Elles existent simplement pour exister. En pleine nature.


Alexandre Ponomarev en octobre 2015, dans l'Antarctique (Photo DR)

Pour la Biennale de Marrakech, Ponomarev a construit un immense bateau qui semble voler sur la dune. Sur une plage japonaise, ce sont trois coques qui semblent faites de dentelles, légères comme l’air, bien que plusieurs tonnes d’acier les composent. Chaque travail de l’artiste est une tentative de l’incommensurable. Ou de l’éphémère, comme pour Maya, l’île perdue,  cette œuvre qui, avec l’aide d’amis marins, a pu faire disparaître une île entière derrière les fumigènes de la flotte russe. En octobre 2015 encore, Ponomarev s’est tenu à la proue d’un navire plusieurs heures durant, dans la position de l’Homme de Vitruve, au centre d’un immense manche à air, dans l’Antarctique, évidemment. Certaines fois, la démesure confine au rêve de gosse, comme chez son lointain ancêtre spirituel de Vinci. Alexandre Ponomarev, lui, n’a certes jamais eu à inventer de toute pièce un sous-marin, mais il a réussi à s’en procurer un. Après quoi, il l’a peint de toutes les couleurs, a voyagé cette fois en Arctique et a poussé la ballade jusqu’aux abord du Jardin des Tuileries à Paris, comme si de rien n’était. « Les Phéniciens disaient que trois choses comptent au cours de la vie d’un homme, rappelle l’artiste : étudier, faire de l’art, voyager. J’aurai vécu selon le modèle des Phéniciens ! »


Alexandre Ponomarev (Photo DR)
1Depuis la signature du traité de l’Antarctique, en 1959, les douze pays signataires, et n’importe quel pays invité par l’un d’eux, se partagent la souveraineté du territoire.

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