Voyage

Quand le Transsibérien disparaîtra

Par CAROLINE GAUJARD-LARSON

En octobre 2014, la Russie signait avec la Chine un protocole d’accord sur un projet de train à grande vitesse reliant leurs capitales respectives. Une ligne qui, si elle se concrétise, pourrait à terme se substituer au Transsibérien et écourter son trajet de plusieurs jours. En attendant la réalisation de ce projet pharaonique, dont la livraison pourrait bien se faire attendre encore de longues années, il est toujours temps de prendre le train.

Valentina, 20 ans, officie sur le tronçon Kazan-Irkoutsk du Transsibérien (photo Arnaud Finistre)

9 288 kilomètres de long, plus de 990 gares traversées, le tout en une semaine de voyage si vous renoncez à marquer l’arrêt. À bord du Transsibérien, cette ligne dont l’un des plus célèbres tracés relie Moscou à Vladivostok, on prend le temps.

Le temps de déambuler dans le couloir qui dessert votre compartiment de quatre et dont la configuration oblige à une position allongée si l’un de vos compagnons de route a décidé de dormir un peu en plein jour. Le temps de s’ennuyer, mais de cet ennui salvateur qui s’apparente davantage à de la contemplation. Le temps d’observer, le nez à la vitre, tantôt les paysages de plus en plus sauvages à mesure que le train poursuit sa lente course, tantôt les gares traversées et les retrouvailles ou les adieux que se font les passagers.

Ci-dessus : paysage de Sibérie orientale le long du Transsibérien. Ci-contre : Lioudmila, cuisinière du wagon restaurant première classe (photo Arnaud Finistre)

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le légendaire Transsibérien ne transporte pas que des touristes étrangers. C’est même la minorité. Hormis les nostalgiques qui préfèreront se rendre en train au lac Baïkal ou jusqu’à Vladivostok, ce « maître de l’Orient », la majorité des passagers n’ont pas délaissé l’avion pour le côté pittoresque du voyage. Encore aujourd’hui, le Transsibérien est un moyen de transport usité quotidiennement par les classes russes populaires.

Ci-dessus, le train Premium 002 quitte la gare Kazanskiy de Moscou. Ci-contre, des passagers s'apprêtent à descendre dans une petite ville de Sibérie orientale (photos Arnaud Finistre)

Une jeune épouse et son enfant rejoignent le mari, nouvellement muté dans une ville de Sibérie orientale, pour y vivre définitivement. Deux amis moscovites ont embarqué comme chaque été et pêcheront deux semaines durant sur les bords du plus grand lac du monde : le Baïkal. Une jeune femme descend à Krasnoïarsk, à l’est de la Sibérie, où elle passera quelques temps chez ses parents. Un jeune homme originaire de la République de Tchoukotka, cette région russe très peu peuplée qui fait face à l’Alaska, rend visite à son frère, établi dans une petite ville de la périphérie de Vladivostok…

Alexeï est électricien en République de Tchoukotka, au nord-est de la Fédération russe (photo Arnaud Finistre)

De nombreux passagers sont aussi des militaires ou des travailleurs, tantôt ingénieurs tantôt main d’œuvre de chantiers, qui empruntent le chemin le plus long par souci d’économie. Ils montent en cours de route à Kazan, Novossibirsk ou Omsk et se rendent à Irkoutsk, Khabarovsk ou encore le terminus, Vladivostok, ville militaire et base navale qui se dresse face au Japon et encore interdite aux étrangers à peine quelques décennies plus tôt.

Ci-dessus, le directeur du train, qui vit à Barnaoul (Altaï) et officie sur le tronçon Novossibirsk-Vladivostok (photo Arnaud Finistre),

Ci-contre, le rocher au Chaman sur l'île d'Olkhon au lac Baïkal, à quelque 65 km d'Irkoutsk (photo Arnaud Finistre)

Si par chance vos compagnons de voyage de dérogent pas à la règle, vous vous verrez rapidement offrir quelques rasades de vodka, et ce dès le petit-déjeuner. Alors évidemment, on peut toujours aller dormir quelques heures après ça. C’est d’ailleurs conseillé pour être en mesure de remettre le couvert le soir venu. À la nuit tombée, il n’est pas rare de dîner à la lueur de la boule à facettes que rythme la pop russe dans le wagon restaurant. La serveuse qui y officie est alors souvent plus aimable qu’au réveil, lorsque, demandant votre café dans un mauvais russe, la réponse qu’on attendrait courtoise se fait sèche et expéditive.

Le wagon restaurant de deuxième classe, ici entre Irkoutsk et Vladivostok (photo Arnaud Finistre)

Quant aux fumeurs invétérés effrayés par l’incohérente longueur du voyage, une question se pose depuis l’application de la loi interdisant le tabac dans les lieux publics, y compris dans le train. On peut toujours s’en griller une lors des nombreux arrêts en gare vous direz-vous. Oui mais, si le Transsibérien marque souvent l’arrêt, il s’agit d’escales techniques d’une ou deux minutes tout au plus, et les passagers ne sont alors pas autorisés à descendre.

La gare de Belogorsk, en Sibérie orientale (photo Arnaud Finistre) 

Heureusement, après Kazan*, les hôtesses de wagon ne sont en général pas très regardantes sur l’odeur de tabac qui sature les inter-wagons. Et plus le train courra vers l’Est, plus l’humeur sera à la décontraction. Si en plus vous achetez quelques souvenirs au début du voyage (sur le prix desquels les hôtesses semblent toucher une commission), on ne vous tiendra pas rigueur de grand-chose !

Bagdat rayonne dans le wagon restaurant des seconde classe. Elle vit à Omsk (photo Arnaud Finistre) 

Si le projet de ligne à grande vitesse sino-russe se concrétise, le futur TGV Moscou-Pékin reprendrait pour une bonne partie le trajet du mythique Transsibérien. Sauf qu’il ne faudrait que 24 heures pour relier les deux capitales. Une réalisation que les experts chinois estiment pouvoir être menée en moins de cinq ans.

*La capitale du Tatarstan se trouve à 720 km à l'est de Moscou.

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