Voyage

Oulan-Oudé, le « fleuve rouge » de la Bouriatie

Par GALINA DOURINOVA

L'image que certains se font de la Russie se cantonne souvent à sa capitale. Un voyage à Oulan-Oudé est sans doute la meilleure façon de faire s'évanouir tous leurs clichés sur ce pays.

© Nicolas Rey et Virginie Baudry

C'est quoi la Russie ? Les touristes qui ont vraiment envie de comprendre ce qu'il en est aimeraient sans doute voir autre chose que la place Rouge ou le café Pouchkine de la célèbre chanson. Voir ce métissage culturel unique qui fait la Russie depuis si longtemps et qui, pourtant, ne va pas de soi pour tout nouvel arrivant.

Si vous faites partie de ceux-là, quittez Moscou et faites, au choix, six heures d'avion ou quatre jours de train pour vous retrouver à ... Oulan-Oudé. « Quatre jours de train ? », s'interroge un ami français, alors qu'il lui suffit de treize heures pour traverser l'Hexagone. Vous voilà à Oulan-Oudé, capitale de la Bouriatie  – Oulan-Oudé ou « fleuve rouge », en langue bouriate. Une question vous traverse alors l'esprit : où suis-je ? Dans une petite ville de province qui a gardé les traces du régime soviétique avec son architecture à la Khrouchtchev ? Dans une région de Russie qui a su garder intactes les églises du XVIIème siècle et les édifices en bois de l'ancienne Russie ? Dans une ville mongole moderne avec ses temples bouddhistes et que surplombent des buildings de verre et des toits qui ressemblent à des pagodes ? Peut-être tout cela à la fois.

© Nicolas Rey et Virginie Baudry

De la tête de Lénine au mont « chauve »

Sur la place des Soviets, principale place de la ville, se dresse une statue colossale : une tête de Lénine de plus de six mètres de haut regarde passer les badauds, été comme hiver, tantôt la tête nue tantôt recouverte d'un béret de neige. Suivez les ruelles, anciennes et modestes ou modernes et prétentieuses. Tiens, une église dans le périmètre d'un parc d'attractions… Vous ne tarderez peut-être pas à découvrir que le parc en question fut érigé sur un ancien cimetière à l'époque de la « modernisation » soviétique ; une illustration parmi d'autres de l'histoire souvent tragique de la Russie et de ses peuples.

© Nicolas Rey et Virginie Baudry

La montagne Lyssaïa ( qui veut dire « chauve » ) est le point culminant de la ville. C'est là que se trouve le Datsan Rinpotché Bagsha, le plus grand temple bouddhiste d'Oulan-Oudé. Depuis ce point, un panorama magnifique de la ville s'offre à vous. Ainsi qu'un sentiment de profonde sérénité, bercé par le vent silencieux. Sentiment que vous retrouverez un peu plus loin, à trois heures de route d'ici, sur les bords du lac Baïkal. Là, vous marcherez en silence sous de vieux sapins sibériens dessinant d'improbables formes sur le ciel grisâtre. Jusqu'à découvrir la figure grandiose du Baïkal. Et jouer avec les vagues, tenter de les maîtriser, et puis, au dernier moment, prendre la fuite. Mais personne ne se joue du Baïkal, le maître des lieux, qui finit toujours par mouiller vos bottes. Si vous quittez la plage pour monter vers la forêt, les sentiers seront étroits et vous obligeront à marcher en file indienne.

Derrière les arbres se dessine une construction en bois à moitié détruite par le temps. Ou peut-être que les travaux n'ont jamais été terminés. À bien y regarder, il s'agit d'une église orthodoxe, telle celles bâties par les vieux croyants exilés en Sibérie. Cette dernière semble pourtant moderne, à l'instar de celles bâties au XXème siècle, et ne semble abandonnée que depuis une dizaine d'années tout au plus.  Sur les arbrisseaux qui l'entourent fleurissent des morceaux de tissu coloré, ces lambeaux chamaniques ou bouddhistes – ce qui revient au même pour la population locale – qui font office d’offrandes aux esprits.

© Elisa Frantz

Russe ou Bouriate ?

Les traditions chamaniques ont eu une influence puissante sur le bouddhisme bouriate. Les Bouriates sont un peuple de croyants, un peuple superstitieux parfois. Aussi sont-ils le produit d'un paradoxe. Ils sont de la race des Mongols mais aussi de culture russe. Ces deux choses coexistent en eux ; c'est une certitude qui relève de la génétique. Les jeunes Bouriates ne parlent le plus souvent plus la langue de leurs ancêtres, à cent lieues de ces derniers, nomades, comme le sont tous les jeunes Russes des anciens Slaves de Novgorod ou de Kiev. Les jeunes quittent souvent Oulan-Oudé sans regrets pour rejoindre Moscou où ils effectuent leurs études et sont alors confrontés à des étudiants venus de toute la Russie.

Il se trouve qu'ils ont en commun une enfance. Ne serait-ce que ce plat familial de chou mariné que l'on préparait le jour de la Révolution d'Octobre. Ne serait-ce qu'au regard de leurs parents qui avaient trois ou quatre emplois en même temps, même si cela ne suffisait pas encore dans les années 1990. Et puis leurs villes, dont les rues principales ont toujours appartenu à Lénine. Toute la Russie vivait de la même manière. Toute l'Union soviétique d'ailleurs. Ce passé soviétique, cette histoire commune, les réunit à jamais.

© Nicolas Rey et Virginie Baudry1

1 Auteurs de La Russie au fil des rails, à paraître.

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