Arts Visuels

Musée de l'Impressionnisme russe : un mouvement est né

Par CAROLINE GAUJARD-LARSON

Le nouveau Musée de l'Impressionnisme russe a ouvert ses portes à Moscou, le 28 mai dernier. Ses artisans se sont fixés un objectif de taille : faire enfin de ce courant russe un mouvement artistique à part entière.


Le Musée de l'Impressionnisme russe a ouvert à Moscou le 28 mai dernier (Photo Kseniya Yablonskaya)

Une ancienne usine de confiserie datant du milieu du XIXème siècle : c'est dans ce lieu, récemment reconverti en centre d'affaires, qu'a élu domicile le Musée de l'Impressionnisme russe. Là, translucide, au milieu de bâtiments de brique rouge désormais impeccables, le nouveau temple de l'art russe détonne. Rien de son architecture très contemporaine n'a pourtant été laissé au hasard, ni même le choix de son emplacement.

« Ce bâtiment a été reconstruit spécialement pour le musée », commente Iulia Petrova, directrice du nouveau Musée de l'Impressionnisme russe. « Auparavant, lorsqu'il y avait ici l’usine de confiserie « Bolchevik », continue-t-elle, notre bâtiment contenait les réserves de lait en poudre et de farine. Le patrimoine architectural de cet emplacement datait des années 1960 et n'était pas de grande importance, c’est pourquoi nous l’avons reconstruit entièrement. Le bâtiment a été divisé en plusieurs étages et une façade a été conçue en vue d'obtenir une géométrie et des lignes ultra-contemporaines. Un cube de verre s'est ainsi greffé sur la surface rectangulaire qui surplombe la base cylindrique de la construction. Ce qui a donné au bâtiment un tout autre aspect. » Quant au complexe de l'usine, « il a été construit plus ou moins à la même période que celle de la naissance de l’Impressionnisme français, et un peu plus tard de l’Impressionnisme russe. C’est pourquoi nous avons pensé que le territoire de l’usine Bolchevik était un lieu idéal pour notre musée. »

C'est donc ici, sur près de 1 000 m2, que le nouveau musée déploie sa collection (au sous-sol) mais aussi des expositions temporaires (au 2ème étage), le tout augmenté d'un cinéma, d'une zone multimédia, d'un café et d'une librairie.


Au sous-sol du bâtiment se découvre l'exposition permanente du musée (Photo Kseniya Yablonskaya)

« Comme vous le voyez, les intérieurs ont été pensés de manière très minimaliste, poursuit la directrice des lieux. Nous avons décidé que la couleur grise était le fond idéal pour mettre en valeur nos toiles ensoleillées. Dans un tel environnement, les tableaux seront vus sous leur meilleur jour. Il me semble qu’on a réussi notre pari ! »

Boris Kustodiev, Valentin Serov, Konstantin Korovine… Sur les murs de l'exposition permanente se détachent ainsi plus de 70 tableaux peints par les maîtres de l'Impressionnisme russe, un mouvement apparu en Russie dans les années 1870 et dont le développement aura duré près de 100 ans. Un espace qui réserve par ailleurs une place de choix à quelques grands peintres soviétiques du milieu du XXème siècle, alors soumis aux directives artistiques du régime. Au Musée de l'Impressionnisme russe, leurs œuvres sont envisagées sous un autre jour.


Iulia Petrova, directrice du Musée de l'Impressionnisme russe, ici à côté de La Fenêtre (1887) par Valentin Serov.

« Il faut aussi mentionner les peintres que l'on ne considère pas comme impressionnistes selon l'approche traditionnelle de l'Histoire de l'art, précise Iulia Petrova. Il s'agit par exemple de Konstantin Yuon, connu des amateurs d'art pour une tout autre stylistique. Mais aussi des travaux d'autres peintres soviétiques, contraints de répondre aux commandes du Parti. En marge de ces commandes, ils peignaient aussi dans le style qu'on leur avait enseigné avant la révolution soviétique. Nous avons des tableaux de Dmitri Nalbandian, d'Alexandre Guerassimov, des peintres de la Nomenklatura mais dont nous découvrons, au sein de notre exposition, un tout autre aspect. Ces derniers temps, il est de plus en plus courant de juger les peintres au regard de leur coopération avec les commandes qu'ils ont pu recevoir du gouvernement, il y a 50 ou 70 ans. Notre positionnement pourra dans tous les cas les acquitter. Même si à mes yeux, ils n'ont aucunement besoin d'être acquittés. »

Au milieu de sujets purement russes, quelques autres, et en premier lieu des sujets parisiens, ne manquent pas de rappeler que le premier mouvement impressionniste fut français. Et que, au XIXème siècle, les artistes russes séjournent régulièrement en France et se trouvent au contact des pratiques artistiques de l'époque. Ce serait néanmoins une erreur que de penser l'Impressionnisme russe comme le résultat d'un simple phénomène de mimétisme.


Au premier plan : L'Été (1911), de Nikolaï Bogdano-Belsky (Photo Kseniya Yablonskaya)

Selon la directrice du musée, « les sujets choisis par les peintres russes sont différents, les couleurs sont différentes. L'Impressionnisme russe, et nous sommes plutôt fermes sur cette question, n'est pas une imitation ou une copie de l'Impressionnisme français. Certes, la plupart des peintres russes se sont rendus en France, à Paris, et étaient au courant des nouvelles tendances qui y avaient cours. Mais la plupart des peintres russes sont arrivés à l'Impressionnisme de manière indépendante. En effet, l'Impressionnisme – aujourd'hui, tous les historiens de l'art le savent – est une forme d'évolution naturelle de tout art européen. Nous pouvons ainsi parler de manière équivalente de l'Impressionnisme américain, anglais, scandinave, espagnol et dorénavant de l'Impressionnisme russe. »

Même en Russie, la reconnaissance du mouvement n'a pourtant pas toujours été de soi. « Longtemps dans notre pays, explique Iulia Petrova, il n'était pas d'usage de considérer l'Impressionnisme russe comme un mouvement artistique. Nous avons tenté de saisir une telle idée et nous sommes dorénavant prêts à tout mettre en œuvre pour que l'Impressionnisme russe soit reconsidéré comme un mouvement en soi, en ayant bien évidemment conscience que l'Impressionnisme français est l'initiateur et a formulé les premiers essais du mouvement. »

Une filiation française évidente donc, et jamais rejetée. Mais des spécificités et une histoire propre. Une histoire qui ne semble pas finie d’écrire : en effet, le musée consacre un espace aux héritiers contemporains de l’Impressionnisme russe, y compris au sein de son exposition permanente. Davantage qu’une simple institution supplémentaire, le musée de l’Impressionnisme russe a sans doute écrit une nouvelle page du mouvement.


Exposition permanente (Photo Kseniya Yablonskaya)

Musée de l'Impressionnisme russe
Ouvert tous les jours de 11h à 20h
Leningradsky prospekt, 15
Bât. 11 (métro Belorusskaya ou Dynamo)
Entrée 200 RUB
www.rusimp.su

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