Société

« J'ai décidé d'aller en Ukraine voir ce qu'il se passe de mes propres yeux »

Par CAROLINE GAUJARD-LARSON

À en croire la plupart des médias russes, la capitale ukrainienne est peuplée de fascistes qui veulent anéantir les populations russophones du sud-est de l'Ukraine. Daniil, 20 ans, a décidé d'en avoir le cœur net. Nous avons croisé ce jeune Russe alors qu'il venait de se frayer un chemin jusqu'à Kiev, non sans encombre.

Daniil, à Kiev, le 16 novembre dernier. (Photo CGL)

Depuis quelques jours, Daniil est à Kiev. Il a vingt ans et il est russe, de Moscou. Sa première tentative d'entrer en Ukraine s'est soldée par un échec. Arrivé à l'aéroport de Kiev la semaine dernière, la police ukrainienne l'a reconduit à bord d'un avion direction Moscou après de longues heures passées dans une pièce isolée, sans manger, sans boire ni même le droit de se rendre aux toilettes. 

Déçu, le jeune homme n'en reste pas là. De retour à Moscou, il achète un nouveau billet d'avion, se procure quelques documents officieusement réclamés par la police ukrainienne pour tout ressortissant russe désirant se rendre en Ukraine, qui plus est tout homme en âge de se battre. La seconde tentative de Daniil n'est pas moins houleuse. Mais ce sera la bonne. C'est un document spécifiant un lien amical avec une citoyenne ukrainienne qui lui permet de finir par se défaire des policiers suspicieux.

Daniil n'est pas venu pour rejoindre les bataillons de séparatistes du Donbass.

« J'ai toujours été intéressé par ce qui se passe en Ukraine, confie-t-il, notamment parce que nos médias nous présentent un point de vue unique et je me doute que ce n'est pas toujours la réalité. J'ai décidé de venir ici pour voir les choses avec mes propres yeux. »

Mais de quel ennemi parle-t-on ici, hormis les séparatistes ? Pour le jeune homme, la Russie n'est jamais intervenue dans cette guerre, c'est une certitude. Une certitude rapidement mise à mal. Daniil ne veut d'abord pas y croire. Il lui faudra quelques jours pour admettre que l'armée russe œuvre dans le sud-est de l'Ukraine. Daniil en fait parfois la douloureuse expérience dans les rues de Kiev : la guerre et la propagande ont monté les Ukrainiens les uns contre les autres, mais aussi les Ukrainiens contre les Russes et inversement. Lorsque le jeune homme annonce qu'il est originaire de Moscou, il se voit tantôt réserver un accueil chaleureux, tantôt lancer un regard glacial.

« Il n'y a pas longtemps, je marchais dans la rue, raconte-t-il, et j'ai vu un mur portant une grande inscription. Ça disait : “Mort aux Moscovites”. Je me suis arrêté, étonné, et j'ai longuement observé l'inscription. Je pense que là n'est pas la question, je veux dire, ce n'est pas une bonne chose de monter les Russes et les Ukrainiens les uns contre les autres. »

Daniil devant un mur à Kiev, portant l'inscription : " Allemands, sauvez-nous des fascistes russes ! " (Photo CGL)

Dans un café du centre-ville, où se côtoient la jeunesse kiévienne et la nouvelle scène artistique ukrainienne, l'atmosphère est toute autre. Le fait que Daniil soit russe le met quelque peu mal à l'aise. Ses interlocuteurs se chargent vite de chasser cette pensée de son esprit.

« Au bout de seulement quelques jours, j'ai rencontré une jeune femme ukrainienne qui m'a permis de découvrir bien des aspects de Kiev que je ne soupçonnais pas, reconnait-il. J'ai rencontré des gens d'une grande ouverture d'esprit, chacun avec des expériences différentes et intéressantes. »

Daniil a promis aux policiers de l'aéroport qu'il séjournerait en Ukraine quelques jours seulement. En fait, il a prévu de rester plus d'un mois, sinon plus. Il dit vouloir comprendre en profondeur ce qu'il en est de l'Ukraine et de son peuple. D'ici là, si une guerre totale éclate, qui sait s'il pourra rentrer à Moscou sain et sauf.  

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