Arts Visuels

Igor Moukhine : de la difficulté de rester

Par CAROLINE GAUJARD-LARSON

Voilà bien 30 ans qu’Igor Moukhine promène son Leica et ses films noir et blanc dans les rues de Moscou. Photographe de renom, l’artiste russe n’en publie pas moins ses livres à compte d’auteur.


Photo Olivier Marchesi pour La Dame de Pique

Weekend, « c’est l’histoire de citadins qui abandonnent leur écran d’ordinateur. L’été. Des gens que la chaude odeur d’asphalte étouffe. Certains veulent s’échapper de la ville, par tradition, à la datcha. D’autres préfèrent la façon rock’n’roll, circuler à vélo en pleine nuit, en bateau à vapeur, danser sous la pluie, nager, manger des shish kebabs, faire du sport, émouvants, les soirées techno, regarder le lever du soleil, discuter, boire de l’alcool, se déshabiller et peut-être échapper à leur solitude. »

Ainsi s’ouvre l’un des derniers livres du photographe moscovite, Weekend, tiré à cinquante exemplaires et à compte d’auteur. « Je n’ai pas la place d’en stocker cent chez moi, justifie Igor Moukhine, et puis, je ne suis pas sûr de trouver cent personnes qui veuillent l’acheter. » À 54 ans, le photographe de Avoir 20 ans à Moscou (Paris, Editions Alternatives, 1998), de Born in the SSSR (Moscou, L. Gusev, 2005), de My Moscow (Schilt Publishing, 2012) et plus récemment de Weekend, La Bohème et Résistance (tous trois publiés à compte d’auteur en 2015 avec un tirage très restreint) n’a plus grand chose à prouver en matière de photographie. Un paradoxe à lui tout seul. Photographe reconnu, y compris hors de Russie, Moukhine n’en est pas moins contraint de publier des "samizdats" (système d'auto-édition clandestine à l'époque soviétique) pour faire circuler ses travaux. C’est en tout cas ce qu’il dit.

« Aujourd’hui, raconte-t-il ce jour-là, perché en haut d’une tour stalinienne, il n’y a pas d’argent pour ce genre de projets en Russie. C’est à vous de vous débrouiller, conclut-il calmement. » Et c’est ce qu’il fait, quand c’est possible. Et écoule patiemment les exemplaires de ses recueils photo un à un, avec dans l’idée que peut-être, il ne les vendra pas tous.

Est-ce le fait d’un pessimisme retors ou d’une profonde mélancolie ? Est-ce un style délibérément choisi d’artiste contrarié ? Ou la nostalgie peut-être, de ces samizdats que Moukhine fit circuler dans les années de la perestroïka et qui immortalisèrent les rockers d’alors, les Viktor Tsoï, Boris Grebentchikov ou encore Piotr Mamonov. En fait non, Moukhine « prend le risque ». Impossible ou presque de trouver son travail chez les libraires russes. Comme beaucoup de secteurs de l’économie russe, l’édition est en crise. Alors, le photographe imprime lui-même. Un choix par défaut plutôt qu’une posture.

Formé à la photo dans le studio du fameux photographe moscovite Alexandre Lapine et influencé peut-être par « Diane Arbus, Larry Clark et bien sûr Boris Mikhaïlov » , Igor Moukhine produit des clichés qui n’en sont pas moins reconnaissables entre tous. Et ce n’est pas la disparité des thèmes abordés qui déroutera ses amateurs. Chez Moukhine, pas de voyage au long court, d’immersion en zone de conflit, de rêverie lointaine. Lui fait des photos là où il se trouve. En l’occurrence à Moscou, et a fortiori en Russie.

Même si « tout ça est un peu déprimant, la politique actuelle, l’influence grandissante de l’Eglise, la diminution de l’espace de liberté », Moukhine ne bouge pas d’un iota. Parce que c’est plus difficile. « Tout photographe mise sur les voyages pour créer, explique-t-il. Mais le plus difficile c’est de photographier la ville dans laquelle vous vivez. »

www.igormukhin.com

EVENEMENT

Igor Moukhine interviendra ce samedi 6 février à 17h lors de la conférence «Моя Москва» au Musée de Moscou : page Facebook de l'événement

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