« Huit milliards de Cendrillon », regards russes sur la pandémie
Associée aux éditions Nouveaux Angles, L’Inventaire publie les réflexions de neuf écrivains russes contemporains sur le coronavirus et ses conséquences.
« Et si la mondialisation avait atteint un stade où l’on n’attend plus qu’un prétexte pour fermer la porte ? s’interroge le médiéviste Evgueni Vodolazkine, l’un des principaux auteurs de ce court recueil. « Dans ce cas, l’infection par le virus serait une sorte de François-Ferdinand d’Autriche. L’assassinat de François-Ferdinand est utilisé par les historiens comme l’exemple classique d’un prétexte extérieur, n’ayant aucun rapport avec les vraies causes. » Pour cet écrivain familier des descriptions de la peste au Moyen-Âge, la pandémie actuelle a ceci d’unique qu’elle est « le premier fléau mondial dont l’humanité a connaissance par les médias. » Du village planétaire qui ignorait les distances et les frontières, il ne reste désormais que la circulation instantanée de l’information, constate Vladislav Otrochenko. « Ce village que l’on avait mis des décennies à créer a sombré en à peine quelques jours ».
© Alexander Yarigin, Saint-Pétersbourg, mai 2020
Illustré par de jeunes photographes, ce petit livre sollicite des écrivains russes contemporains sur un terrain inattendu : la réflexion sur le monde actuel, au-delà des frontières de leur pays. Le regard de ces écrivains « porte bien au-delà des steppes dans lesquelles on aime à les confiner », relève avec justesse Jean-Claude Galli, directeur du Courrier de Russie, dans son avant-propos. Ce recueil de courts essais et de nouvelles rassemblent écrivains reconnus, comme Andreï Guelassimov, d’autres qui gagneraient à l’être (Sergueï Lebedev, auteur du très beau roman L’Année de la comète) mais aussi des plumes encore non traduites en français. Dans cette dernière catégorie se rangent Chamil Idiatoulline, dont on apprécie la réflexion sur les nouvelles normes, mais aussi Iouri Arabov qui signe le texte donnant son nom au livre. Lauréat du prix du Scénario du festival de Cannes (en 1999, pour le film Moloch d’Alexandre Sokourov), Arabov s’interroge sur la possibilité d’une culture revivifiée. « Le citoyen moyen, qui a fait de la graisse depuis qu’il vit en paix, réclame distractions et loisirs. C’est ainsi qu’il comprend la culture : un temps de repos, de profond sommeil après une semaine de travail ». Or, « la culture, au même titre que la conscience, n’existe pas en dehors des questions maudites ». Celles que la pandémie a brusquement fait ressurgir… mais qui pourraient disparaître tout aussi vite. « Dussions-nous nous installer sur Mars, nous recommencerions tout à l’identique – tel est l’attrait du confort, face auquel rien n’arrêtera les hommes ».
© Yuri Smityuk/TASS Vladivostok mai 2020
Huit Milliards de Cendrillon, coédition L’Inventaire / Nouveaux Angles, 2020. Traduit du russe par Anne Coldefy-Faucard.