Arts Visuels

« Deep Inside », pour trouver du nouveau

Par CLÉMENT CHAUTANT

Dans le cadre de la Ve Biennale Internationale de Moscou dédiée à la jeune création artistique, la Trekhgornaya Manufaktura accueille un projet ambitieux qui donne à voir l’œuvre d’une génération en quête de sens. 


Karin Ferari, DECODING Katy Perry's Dark Horse (THE WHOLE TRUTH), 2016 (Photo DR)
 

« Deep Inside » : ainsi s’intitule l’exposition centrale de la Biennale internationale des jeunes artistes qui se tient à la Trekhgornaya Manufaktura de Moscou jusqu’au 10 août 2016. Dans cette usine de textile vieille de plus de deux siècles, un ensemble hétéroclite d’artistes émergeants a été réuni. De jeunes artistes soucieux d'être confrontés au paradoxe d’une société où le doute va croissant. À l’heure du savoir accessible à tous, notamment via les nouvelles technologies, notre environnement n’en apparaît pas moins plus incertain : changement climatique, crises économiques, instabilité sociale…

Cette nouvelle génération d’artistes propose ainsi de questionner notre rapport à la connaissance. Obsédés par l’Ailleurs, rendu accessible par le progrès technique, nous aurions perdu la capacité de nous connaître nous-même et d’appréhender les événements qui nous concernent le plus directement. « Deep Inside », c’est une occasion de garder prise, de troquer l’au-delà pour l’au-dedans. Les œuvres exposées ici invitent à explorer la multitude d’incertitudes qui nous entourent et font porter un regard nouveau sur les éléments de notre quotidien, que ce soit à travers la mise en scène de théories du complot, la représentation de plans d’évacuation d’urgence ou encore l’évocation de ces intrigantes micro-nations.


Sur la 5ème édition de la Biennale, en juillet (Photo DR)
 

Remarquée au détour de la Biennale, Kseniya Kudrina est originaire de Lensk, en Iakoutie (Extrême-Orient russe). Elle est aujourd’hui installée à Moscou, qu’elle a rejoint après un détour par Saint-Pétersbourg où elle a étudié le verre et la céramique à l’Académie d’art et d’industrie Stieglitz. Depuis qu’elle a quitté sa terre natale pour plonger dans la fureur moscovite, Kseniya explique avoir ressenti le besoin d’entreprendre un travail de mémoire concernant ses racines iakoutes. Pour elle, « Deep Inside » c’est en quelque sorte un retour aux sources, un moyen de se reconnecter à ses ancêtres. C’est surtout une façon de lutter contre l’oubli, dans une ville où « tout va trop vite, tout nous divertit ».

À la Trekhgornaya Manufaktura, Kseniya Kudrina expose ainsi des totems de verre et de métal, inspirés des traditions iakoutes. Cet emprunt à un art traditionnel, elle le décrit comme le meilleur moyen de faire parler ces peuples russes, dont le mode de vie s’est trouvé bouleversé par l’urbanisation galopante induite par la modernité. Les totems sont comme des remparts contre l’oubli, l’oubli des traditions iakoutes, mais ils rappellent aussi le péril qui guette ces populations. Car Kseniya est inquiète. Comme lorsque sa grand-mère, aux croyances animistes, « se retrouve dans le flou » tandis qu’un projet de gazoduc est à l’origine d’une intense entreprise de déforestation en Iakoutie. « En tant que jeune artiste, je me dois de parler des traditions iakoutes, surtout aux jeunes, estime Kseniya Kudrina, et a fortiori aux jeunes Iakoutes qui tendent à oublier les traditions. »


Kseniya Kudrina (Photo DR)
 

L’artiste revient souvent en Iakoutie pour se ressourcer, y trouver l’inspiration, car son « âme est là-bas ». C’est une région dont « le climat est très sévère mais riche en couleurs », des couleurs que l’on retrouve aussi bien dans ses totems que dans ses peintures.

C’est via la peinture, d’abord, que Kseniya commence un jour ce travail de recherche artistique dédié aux traditions iakoutes. Progressivement, c'est une évidence, il faut passer à la sculpture. Naîtront les fameux totems. Inspirés par l’héritage ancestral, les créations de Kseniya Kudrina tendent à s’articuler autour des couleurs traditionnelles de la Iakoutie : le rouge du feu, le bleu de l’eau et le blanc qui représente la naissance de l’esprit, de la vie. Une œuvre qui se veut une célébration de l’harmonie entre l’humain et les forces de la nature.


Vlad Lunin, Taken on January 1, 2015 (Photo DR)

 

Ce lent processus de maturation chez une jeune artiste, c’est précisément ce que la Biennale moscovite a choisi de montrer. Et pour cette 5ème édition, il est apparu nécessaire aux organisateurs que le curateur fasse lui aussi partie de cette jeune génération d’artistes de moins de 35 ans. L’occasion pour les  artistes, venus de tous horizons et de toutes nationalités, d’investir, le temps de la Biennale, 23 sites artistiques moscovites, parmi lesquels le Centre National d’Arts Contemporains et le Musée d’Art Moderne de Moscou. Et, comme Kseniya, de se distinguer au sein d’une grande exposition. En attendant, pour « suivre cette voix difficile où il faut se surpasser », Kseniya Kudrina jongle entre son art et un job à temps plein en bureau chez un grand fabriquant de jouets pour enfants, au détriment du temps alloué à la création. Mais il faut bien « financer les œuvres », des œuvres onéreuses en termes de matériaux et d’outillage. Cela ne durera qu’un temps, espère la jeune artiste, « le temps de mettre de l’argent de côté » pour réaliser tous ses projets.

Ve Biennale Internationale de Moscou de la jeune création
jusqu’au 10 août 2016
Exposition centrale à la Trekhgornaya Manufaktura
Entrée 300 RUB pour le site principal, 500 RUB pour tous les sites moscovites
Plus d’infos et billets en vente sur le site de la Biennale
Page Facebook de la Biennale

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