Arts Visuels

Un cri, un coup de poing, droit dans les yeux, Vglaz !

Par GUILLAUME HOUSSE

Ce week-end, au Studio KOP, le fief du groupe artistique Vglaz, se tient l’Art Market où sont proposés à la vente des œuvres, pour beaucoup jamais montrées au public. "La Dame de Pique" fait les présentations.


Gosha Ostretsov, chez lui, au studio KOP (Photo Varvara Lozenko)

Vglaz n’est pas vraiment un groupe, ni même une association. Il n’y a rien à signer pour rejoindre Vglaz. On n’obtient pas de carte de membre. Est-ce que l'on peut quitter Vglaz ? C’est possible, mais la question ne se pose généralement pas. Jadis, Vglaz a édité une revue, mais elle n’existe plus. Il n’y a jamais eu de manifeste de Vglaz. Vglaz n’est pas un courant, Vglaz n’est pas une théorie. Pourtant, Vglaz réunit des artistes qui veulent réfléchir ensemble. Réfléchir ensemble et créer séparément. Vglaz rassemble des individualités, des visions différentes du monde, des styles indépendants les uns des autres. Cependant qu'un je-ne-sais-quoi fait comme un dénominateur commun à tous les artistes de Vglaz.

Au commencement de Vglaz (traduire littéralement « dans l'œil »), il y a Gosha. Gosha Ostretsov, artiste russe, parfaitement francophone, aux allures de dandy-boxeur, bouc pointu et regard vif. Ajoutez à cela quelque chose d’un maître d'arts martiaux en veste de tweed et foulard de soie. L’initiative de Vglaz lui appartient, il en est l’âme mais refuserait très certainement d'en apparaître comme son leader.

C'est le paradoxe de notre époque : le confort est omniprésent ou presque, il est à la portée du plus grand nombre de créer et pourtant, la création artistique n'a jamais été si bridée, dit Gosha. Les artistes sont noyés dans la masse incalculable d’images et d’informations qui nous submergent, les cercles artistiques sont fermés sur eux-mêmes et le succès obtenu auprès de quelques amateurs et autres galeristes entraîne le plus souvent la répétition, une œuvre produite pour plaire à certains plutôt que pour exprimer une idée singulière et personnelle. Quant au système administratif, du copinage français à la censure russe, Gosha Ostretsov préfère s’en tenir à distance.


Gosha Ostretsov, 2014 © Vglaz

Lorsque Gosha déploie sa définition intransigeante de la création artistique, la valeur première et absolue évoquée est la sincérité. Selon lui, l’artiste a ce besoin de parler, de dire quelque chose et il doit le faire sans compromis, sans limite, sans faux-semblant. Au delà de la diversité des discours, de la plus ou moins grande force des langages, du talent de chaque artiste, la plus pure expression artistique doit être viscérale, nécessaire. Un cri, un coup de poing, droit dans les yeux, Vglaz !

Ce nom, Vglaz, sous lequel les artistes se réunissent, est résumé par le dessin d’un poing lancé vers les yeux. Gosha, lui, en parle un peu autrement : « nous produisons une nourriture pour les yeux ». La nourriture est un besoin corporel qui s'offre à la bouche, les besoins de l’esprit, eux, passent par la vue. Alors, les artistes de Vglaz se ménagent un lieu pour se parler, pour réfléchir au monde qui les entoure, pour s’influencer les uns les autres. « Je crois avoir une force particulière pour amener chacun à tirer le meilleur de lui-même, raconte Gosha, c’est peut-être la chose la plus importante que j’apporte aux jeunes qui me rejoignent. » Cependant que, au-delà de cette réflexion collective, la véritable œuvre d’art ne peut-être qu’individuelle. Car Gosha ne croit pas aux œuvres de groupes, même en duo. Pour lui, de telles œuvres sont simplement un premier pas rassurant.


Au studio KOP, sur le territoire de l'ancienne usine de plastique à Moscou © Vglaz

Diplômé de l’Ecole de décor du Bolshoï en 1984, Gosha est parti pour la France en 1988 et y est resté dix ans. Avant de partir, il a déjà connu plusieurs succès. Membre de Detski sad (groupe artistique russe constitué dans les années 1980), il est alors connu et apprécié de ceux qui, encore aujourd’hui, font la scène russe. Des succès, il en a en France aussi, y compris dans des sphères de création un peu différentes comme lors de sa collaboration avec Jean-Charles de Castelbajac. Mais ce séjour est surtout pour lui le moyen de comprendre une chose : « la France n’avait pas besoin de mon travail. » Non pas que ce travail ne trouve pas son public en France, mais ses œuvres n’avaient pas leur place comme elles l’ont ici en Russie.

Gosha croit beaucoup à l’idée d’artiste national. Certes, il se nourrit de l’action painting, de la BD, du street art et de manière générale, de toute esthétique qui repousse les frontières. Mais il est avant tout russe, issu de cette société si particulière. « Il y a une scène internationale, dit Gosha, il peut y avoir un langage universel, mais ce langage doit avant tout être ancré dans un pays, dans sa culture, dans ses questions. »

C’est peut-être de ceci que se rapproche le je-ne-sais-quoi de commun aux œuvres des artistes de Vglaz. Tous sont russes – hormis quelques artistes venus en résidence temporaires – tous parlent la même langue, sont nourris des mêmes idées, des mêmes paradoxes, des mêmes combats. Ce qui n'empêche pas de mettre au défi le visiteur de trouver le fil conducteur entre les travaux de Liudmila Konstantinova, ceux de Georgy Litichevsky, ceux de Daria Krotova ou encore ceux d’Olya Kroytor. Même entre un tableau d’Evgeny Kukoverov et une œuvre d’EliKuka (le duo que ce dernier forme avec Oleg Eliseyev), la distance est grande. Le site Internet de Vglaz déroule une liste de 17 artistes, sans être tout à fait exhaustive, si l’on considère tous ceux qui ont exposé de manière plus ponctuelle. Les différences frappent davantage que les points communs, même l'on retrouve chaque fois cette exigence d’indépendance, qui se retrouve paradoxalement dans cette communauté.

À partir du 11 mars et pour trois jours, au Studio KOP, la résidence de Vglaz, se tient l’Art Market, ce grand marché où chacun proposera à la vente de petites choses, des œuvres préparatoires, des essais ou des œuvres finies jamais montrées en galeries. Une nouvelle manière pour chacun de se dévoiler un peu plus et, pour le visiteur, de regarder Vglaz dans les yeux.

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