Société

Au cœur de Tchernobyl, 30 ans après

Par JEANNE CAVELIER

Dans la nuit du 26 avril 1986, le réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl explosait. Trente ans après la catastrophe nucléaire, plus de 10 000 km² de terres restent inexploitables, en Ukraine, en Russie et en Biélorussie.


Autorisation d'un liquidateur, trouvée dans un stade abandonné dans la ville de Tchernobyl. (Photo Arthur Bondar)

Sauf autorisation spéciale et accompagnateur, impossible de pénétrer. Il est indispensable de montrer patte blanche pour pénétrer dans la zone d’exclusion de Tchernobyl, un territoire aussi étendu que le Luxembourg. Sur l’asphalte, le dosimètre affiche 0,15 microsieverts, un taux de radioactivité pas plus élevé que la normale – à condition de ne pas s’aventurer sur les bas-côtés. Les oiseaux chantent. La forêt a repris ses droits, envahissant les champs et les villages abandonnés. La plupart ont d’ailleurs été enterrés par des « liquidateurs », tout comme les animaux, abattus. Le long de la route, des arbres cachent de rares maisons de briques blanches. Zalesi, bourgade de 3000 habitants au moment de la catastrophe, n’a jamais aussi bien porté son nom, qui veut dire « derrière la forêt ». Un centre administratif, après nettoyage, a été transformé en appartements pour des employés. La caserne de pompiers, planquée derrière des palissades jaunes, fonctionne toujours. Près de 3000 personnes travaillent encore dans la zone.


Vue sur une zone contaminée. Au lieu de produire des MegaWatts, après l'accident, la centrale nucléaire de Tchernobyl consomme
d'énormes quantités d'énergie pour surveiller les niveaux de rayonnement dans l'usine et à l'intérieur du sarcophage. (Photo Arthur Bondar)

À 10 km de la centrale, nouvelle barrière : des hommes en treillis surveillent l’entrée du secteur le plus contaminé. Les teneurs en césium-137, en strontium-90, en plutonium et autres résidus chimiques de l’accident nucléaire condamnent le site pour au moins 25 000 ans. Pripiat et ses 50 000 habitants, commune située jadis à 3 km de la centrale de Tchernobyl, ont été évacués 36 heures après la catastrophe. Modèle de l’architecture soviétique, elle est aujourd’hui une ville fantôme. Au bord de la rivière qui la baigne, les grues et les réacteurs n°5 et 6 en construction à l’époque, rouillés, se découpent sur un ciel gris tandis que des champs de poteaux électriques saturent les environs de la centrale. Les réacteurs n°1, 2 et 3 ont continué à fonctionner. Le dernier a été arrêté en 2000, sous la pression de la communauté internationale.


La pêche et la chasse ont beau être strictement interdites dans la zone, pour beaucoup de gens, c'est le seul moyen de survivre.
La plupart mangent ce qu'ils cultivent dans leur potager. (Photo Arthur Bondar)

Entouré de barbelés, le territoire de la centrale est sans surprise placé sous haute surveillance. Des employés passent les multiples points de contrôle d’identité et de taux de radioactivité. À la cantine, Aleksandr Ivanovitch savoure son bortch. Il est « remontnik », réparateur, depuis 1991 : « Je suis venu après l’armée, confie-t-il. Pourquoi ici ? Sûrement parce qu’il fallait bien se marier, avoir son appartement. Ils donnaient plus rapidement des logements que dans d’autres régions ici. Sous l’URSS, tout était mieux. Enfin, ici, il y a toujours une certaine protection, un reste de socialisme. On a 56 jours de congés, même plus pour certains. »


Portrait d'un couple de "colons", qui vivent dans la zone d'exclusion de Tchernobyl. (Photo Arthur Bondar)

A quelques centaines de mètres du sarcophage de béton et d’acier recouvrant le réacteur n°4, un monument rend hommage aux « héros », ces liquidateurs qui se sont parfois sacrifiés pour l’ériger. Il a été inauguré en 2006 par Rosatom, conglomérat russe du nucléaire. Devant l’urgence, un temps minimal a été consacré au design et la stabilité de l’ouvrage n’a pas été assurée en cas de fort séisme. Les travaux de stabilisation pilotés par Atomstroyexport entre 2004 et 2008 ont ensuite permis d’étendre sa durée de vie jusqu’en 2023 environ.


Carte de la zone de Tchernobyl dans un rayon de 30 km autour du réacteur qui a explosé, une zone devenue par la suite zone
d'expulsion forcée pour ceux qui la peuplaient. (Photo Arthur Bondar)

« Là où nous sommes, il y a 30 ans, c’était l’endroit le plus dangereux de la Terre, raconte Vitaly Dragounov, chef de projet d’Atomstroyexport, filiale de Rosatom. Maintenant on est en sécurité, assure-t-il. » Les masses contenant du combustible sont toujours actives à l’intérieur du réacteur, sous contrôle permanent. Mais le rayonnement s’arrête de lui-même à 300 mètres, nous explique-t-on. Grâce au nouveau système de ventilation et au nettoyage du site, les poussières radioactives ne présenteraient plus de danger pour les ouvriers de Novarka, qui ont laissé au vestiaire depuis la mi-avril leurs équipements spéciaux. Cette coentreprise de Vinci et Bouygues pilote le projet de nouvelle arche de confinement, construite à 330 mètres de l’ancienne. Son coût : plus d’1,5 milliard d’euros, financés par 27 pays donateurs via la Banque européenne pour la reconstruction et de développement (BERD). Le soulagement sera total seulement après son installation, nous dit-on encore. Le dôme métallique de 109 mètres de haut, quatre fois plus lourd que la Tour Eiffel, doit être déplacé dans six mois à l’aide de longrines, des sortes de rail. « Plus de 200 entreprises du monde entier participent, ici on assemble, comme un lego, explique Viktor Zalizetskyi, directeur adjoint du projet. C’est un ouvrage unique, car il se trouve dans une zone extrêmement irradiée, cela implique des solutions techniques qu’il a fallu inventer. » Les 2500 salariés de Novarka, équipés d’un dosimètre individuel et suivis quotidiennement, continuent néanmoins de subir des visites médicales poussées.


L'icône du «Sauveur de Tchernobyl», créée en Ukraine après la tragédie de Tchernobyl. En 2011, on la retrouve en Russie.
Aujourd'hui, l'icône se trouve dans une église la ville de Toula. (Photo Arthur Bondar)

Cette arche de confinement est garantie 100 ans. L’étape suivante sera la déconstruction des structures instables par des robots de l’intérieur et la récupération du combustible. Reste à trouver des fonds et des solutions techniques, mais le directeur de la centrale, Igor Gramotkine, se montre confiant : « il y a dix ans, nous débattions seulement de la possibilité de réaliser un nouveau sarcophage. En fait, l’humanité a approfondi ses connaissances sur la façon de gérer un accident de cette ampleur. C’est la victoire de l’homme sur le plus terrible accident de l’histoire du nucléaire. » Reste que ce dernier devra attendre plusieurs milliers d’années avant de pouvoir vivre sans danger dans la zone.


Panorama sur la centrale nucléaire de Tchernobyl depuis le toit d'une maison, au centre de la ville de Pripyat, d'où ont été évacuées
50 000 personnes en une journée, après l'accident, le 27 Avril 1986. Aujourd'hui, c'est une ville fantôme. (Photo Arthur Bondar*)

*Né dans la ville industrielle de Krivoy Rog (Ukraine), Arthur Bondar vient de publier Shadows of Wormwood , dédié à Tchernobyl (136 pages, 64 images, 30 euros). Ce photographe indépendant ukrainien (VII Photo Agency) vit aujourd'hui à Moscou. Il a remporté une longue liste de distinctions pour ses travaux, exposés dans de nombreux pays.

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