Voyage

Bienvenue en Ossétie du nord

Par A. BACHELET ET C. VOGEL

Faire du tourisme dans le Haut-Caucase ? Voilà une idée aussi saugrenue que dangereuse, vous diront nombre de Russes. En particulier si vous choisissez l'Ossétie, cette région synonyme de guerre et de terrorisme. Une actualité qui ne doit pas occulter les trésors naturels et le patrimoine de la République ossète.


Vestiges d'un village ossète (Photo Charlotte Vogel)

Prise d’otage de l'école de Beslan en 2004, guerre de Géorgie en 2008, attentats à la bombe récurrents en Ossétie ou à sa frontière... La récente Histoire de la petite République chrétienne du Caucase appelle à la prudence. Peu à peu, l’Ossétie du nord s’ouvre malgré tout au tourisme, même si la population locale est toujours bien étonnée de croiser des voyageurs étrangers. Des voyageurs encore rares dans cette région pourtant incontournable en Russie, de par ses paysages de haute montagne des plus sauvages, sa richesse culturelle et son patrimoine historique.

En distribuant les langues sur la Terre, Dieu a, à la fin, vidé les miettes de son sac sur le Caucase, dit le proverbe local. Dans certaines contrées, la richesse linguistique est telle que  l'habitant d'un village ne comprend pas toujours l’habitant du village voisin. Il faut dire que l'ossète, une langue du groupe iranien, comprend à lui seul deux dialectes. La légende raconte que les Alains, descendants des Scythes et ancêtres des Ossètes, lesquels peuplaient le sud de la Russie actuelle et l'Asie centrale, auraient fui l'invasion des Khazars turcophones au VIIème siècle pour se réfugier dans les montagnes du Caucase. Ils auraient été autorisés à s'y installer par les peuples déjà présents, tout en conservant par la suite ce statut de "peuple invité". Ils auraient apporté avec eux les récits de leurs ancêtres mythologiques, les Nartes, dont les épopées, mises par écrit au XIXème siècle, servent encore à l'enseignement de la langue ossète aux enfants.


Maharbek Touganov, Danse rituelle de Soslan sur la coupe du Saint-Graal (détail)

En France, ces textes nous sont parvenus traduits par un grand nom de la mythologie comparée : Georges Dumézil publie en 1930 Le Livre des héros. Légendes sur les Nartes. On retrouve dans cet ouvrage le héros Soslan, invulnérable et courageux, ou encore sa mère Satana, à la beauté inégalable et d'une grande intelligence. Tous deux sont notamment représentés par le peintre ossète Touganov (exposé au musée d'Etat qui porte son nom, à Vladikavkaz) dans son tableau Danse rituelle de Soslan sur la coupe du Saint Graal. À l'occasion d'un grand festin, Soslan y apparaît dansant sur la pointe des pieds – dans la tradition des danses nationales ossètes – sur les bords d'un énorme Graal tandis que Satana apporte une coupe de bière, boisson mythologique, dont elle est la seule a détenir le secret de fermentation. Aujourd'hui encore, vous trouverez cette bière noire, liquoreuse, faible en alcool au supermarché, à moins d'être invité à la déguster dans les maisons où on la brasse encore.

“La montagne des peuples”

Le Caucase se divise aujourd'hui en deux zones distinctes : d’une part le Caucase du nord, composé d’une petite dizaine de républiques rattachées à la Fédération de Russie, d’autre part la Transcaucasie (ou Caucase du sud), qui couvre les Etats indépendants que sont l’Azerbaïdjan, l’Arménie et la Géorgie, autrefois intégrées à l’Union soviétique. Une carte simplifiée qui cache en réalité une complexité territoriale, ethnique et religieuse à qui l’on doit d’avoir surnommé le Caucase "la montagne des peuples".


Photo DR

C’est au milieu du XVIIIème siècle qu’il nous faut remonter pour trouver trace du rattachement du Caucase à l’espace russe. A cette époque, l’expansion impériale russe rencontre une forte résistance chez les peuples montagnards de la région, qu’ils soient ossètes, tchétchènes, tcherkesses, kabardes, ingouches ou encore abkhazes). Après des années d’affrontements, l’Empire russe finira par dominer la région en y instaurant une présence militaire constante et une politique intransigeante à l’égard des populations locales.

La promesse d'une vie romanesque et trépidante

Pouchkine, Lermontov, Tolstoï : tous trois ont beaucoup contribué, par leurs écrits, à la création de mythes autour des peuples du Caucase pour lesquels ils ont voué une sorte de fascination. Un sens de l’honneur a d’abord retenu leur attention, mais aussi une grande  hospitalité et un souci d’entraide. Dans un même temps, les trois écrivains notent  un caractère guerrier, une certaine cruauté et un penchant pour le banditisme. De quoi façonner l’imaginaire littéraire d’alors et affubler le Caucase d’une réputation splendide et dangereuse où les destinées les plus trépidantes se réalisent.

En la matière, l’ouvrage le plus célèbre est sans doute Un héros de notre temps, de Lermontov. Ce dernier y raconte les aventures d’un jeune Moscovite de son époque, envoyé en mission militaire dans le Caucase. La montagne se taille une place de choix par les riches descriptions que l'on y trouve, lorsque le poète fait la peinture des peuples et des brigands qui l'habitent. Un peu plus tard, des peintres romantiques tels Franz Roubaud, Vasily Verechaguine ou Horace Vernet poursuivront via leurs œuvres l'édulcoration de cette région frontalière, véritable barrière naturelle qui va d'une mer à l'autre, d’est en ouest.


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Que reste-il des peuples montagnards dépeints par les romantiques russes du XIXème siècle ?  Presque rien, semble-t-il. Les Ossètes ont massivement migré vers les plaines à partir du XIXème siècle et les derniers montagnards ont été incités par le régime soviétique à s'installer dans les vallées à partir des années 1920. Ceux-là ne connaissent la montagne qu'à travers les récits de leurs ancêtres et quelques excursions estivales qu'ils entreprennent dans les vallées et les belvédères les plus accessibles. Quant aux plus jeunes, il n'est pas rare qu'ils s'initient encore aux danses nationales pour concourir,  un jour peut-être, au niveau local ou fédéré ou, pour les plus talentueux, se confronter aux nations de toute la Fédération de Russie. À noter que depuis que l'URSS a décidé d'adapter la danse ossète au règlement soviétique, la discipline locale diffère aujourd'hui peu des autres danses caucasiennes sinon par les costumes des danseurs et les pas des hommes contraints de se mouvoir sur la pointe des pieds.

Virée en montagne

Les touristes viennent en premier lieu pour la beauté des paysages et l'air pur qui ne sont pas peu vantés par les locaux, ou pour se recueillir dans les villages fantômes, comme ceux de Fiagdon et de Dargavs, situés à une cinquantaine de kilomètres de Vladikavkaz.

Longtemps fermées aux étrangers, certaines parties du parc national d'Ossétie, jadis zone de guerre ou zone militaire, demandent aux touristes qui s'y aventurent une certaine détermination. Les combattants de l'indépendance du Nord-Caucase auraient migré plus loin, vers le mont Elbrouz, et au Daghestan, maıs le check-point miliaire qui protège le nouvelle République indépendante d'Ossétie du sud refoule tous les étrangers sans exception. Non balisée, la montagne est vierge de parcours, tracés ou autres petits panneaux qui pourraient indiquer le temps et la distance qui vous séparent du sommet. Seuls les rares paysans qui l'habitent encore et les scientifiques du parc national la connaissent. La population locale elle-même semble ne pas comprendre le plaisir de randonner. Pour accéder aux différents sites reliés par des routes, les Ossètes utilisent volontiers la voiture ou encore les remontées mécaniques datant de l'URSS, ceci afin d'admirer un panorama facile d'accès.


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A côté des anciens villages ossètes, derniers vestiges d’un peuplement vieux de plusieurs siècles, se trouvent des nécropoles appelées « villages des morts ». Les plus connues des touristes se trouvent à Dargavs. Les maisons de pierres blanches qui les composent, souvent à deux étages et recouvertes d’un toit en pierres noires, seraient bâties selon un plan idéal afin de servir de tombeau. Les pierres, dit-on, seraient liées grâce à un mortier composé de chaux, d’œufs, de lait et de crème fraiche. Un grand orifice, sorte de fenêtre, permettrait une aération optimale nécessaire à la bonne conservation des défunts. Passez-y la tête : vous apercevrez sans doute des ossements et des lambeaux de tissus. Les Ossètes, peuple de guerriers, n’enterraient pas les chevaux sans leurs maîtres.

Si vous vous décidez pour une expédition, votre guide de montagne vous emmènera peut-être chez le paysan du coin. L'excursion se terminera alors par un verre d'arak, l'eau-de-vie locale, ou de tarkhoun (limonade à base d'estragon), le tout accompagné de délicieux zakouski montagnards : fromages ossètes, de lait de vache, de chèvre ou de brebis, du pain de maïs et des herbes aromatiques. Où que vous soyez, vous n'aurez pas de peine à trouver des chachliks (brochettes de viande marinée et grillée, ndlr) et les traditionnelles tartes ossètes, proches de leurs célèbres soeurs géorgiennes “hatchapouri” mais plus variée que celles-ci : outre le fait qu'elles sont garnies de fromage ou de viande, elles sont parfois fourrées à la pomme de terre mais aussi à la feuille de betterave ou de courge.

Vladikavkaz,  modeste « seigneur du Caucase »

La capitale de l'Ossétie du nord fait pâle figure à côté de ses voisines. C'est avec jalousie que les Ossètes évoquent la nouvelle perle du Caucase, Grozny, devenue un petit Dubaï juste après sa destruction totale pendant la guerre de Tchétchénie, ou encore de Naltchik, en Kabardino-Balkarie, avec ses grands parcs situés au pied de l'Elbrouz.


Vladikavkaz (Photo DR)

Fondée au milieu du XVIIIe siècle pour faire office de forteresse dans l’avancée de l’Empire russe dans le Caucase, Vladikavkaz conduit directement à Tbilissi en Géorgie via la célèbre Route militaire géorgienne. Aujourd’hui, elle est la capitale administrative de la République fédérée d’Ossétie du nord-Alanie, peuplée en majorité d'Ossètes. Voilà 1 000 ans, ces derniers ont été convertis au christianisme par les Géorgiens et les Byzantins. Désormais, seule une petite minorité de la population est restée de confession musulmane. Ce qui fait de l’Ossétie la seule république nord-caucasienne à majorité chrétienne.

Construit autour de la Prospekt Mira, parallèle au fleuve Terek, le centre-ville de Vladikavkaz jouit d'une vue dégagée sur les contreforts majestueux du Haut-Caucase. Son avenue principale concentre, dans des maisons de l'époque impériale, tous les magasins de marques internationales, en particulier de sport, et la totalité de ses restaurants et cafés les plus branchés. Dans l'ensemble, la vieille ville, très calme, est faite de petites maisons de briques rouges modestes et confortables. Plus loin, le marché, qui a régulièrement fait les unes des journaux lors d'attentats meurtriers, est quant à lui toujours animé. Traversez la rivière : les grands logements d'habitation de l’époque soviétique côtoient de nouvelles grandes tours. Car malgré la dépression économique, la ville grandit peu à peu.

ALLER PLUS LOIN 

Alexandre Pouchkine, Le prisonnier du Caucase (poème) (1821), Voyage à Erzurum (1836)

Léon Tolstoï, Les Cosaques, 1863

Mikhaïl Lermontov, Un héros de notre temps

Georges Dumézil,  Le Livre des héros. Légendes sur les Nartes

Julius von Klaproth, Voyage au Mont Caucase et en Géorgie

Le prisonnier du Caucase, Sergueï Bodrov,  (film)1996 

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