Société

Anne Mondoloni : « La rue n’est pas un choix »

Par CAROLINE GAUJARD-LARSON

Depuis 2003, le Samu social vient au secours des sans domicile fixe à Moscou. Sa directrice, Anne Mondoloni, défait pour nous quelques clichés et autres idées reçues. 

« Il existe beaucoup de légendes autour de la vie dans la rue. » Des légendes que la directrice du Samu social de Moscou, Anne Mondoloni, s’empresse de corriger. À commencer par le refus des SDF d’être pris en charge, parfois, ou encore les raisons de leur consommation excessive d’alcool. En fonction depuis deux ans, la directrice du Samu social de Moscou – fondé en 2003 – prévient d’emblée : « la logique des personnes qui se retrouvent dans la rue, ce n’est pas une logique que l’on peut comprendre en étant confortablement installé autour d’une table. »

Anne Mondoloni raconte alors comment son équipe de huit personnes, parmi lesquelles deux médecins et deux psychologues, interviennent au côté de la Patrouille sociale de Moscou, laquelle se retrouve chaque jour confrontée à des gens qui redoutent de recevoir des soins par peur de perdre le « territoire conquis », un espace certes des plus précaires mais qui leur assure la survie et les protège du froid. Et non pas parce qu’ils ont choisi la rue.

Second cliché : l’alcool. « Oui, c’est une des armes de la survie. Un regard moral sur la question n’a aucun sens. C’est un désinhibant, une façon d’accepter la dégradation de l’image de soi et un élément de sociabilisation entre sans domiciles, même si, dans cet univers très cruel et brutal, la convivialité qui peut exister entre SDF est déformée, c’est quelque chose de factice », souligne Anne Mondoloni.


Anne Mondoloni, directrice du Samu social Moscou, dans les bureaux de l'association de Chabolovskaya (Photo Olivier Marchesi)

Autre idée reçue : « les gens dans la rue sont fous. Une étude menée à Paris en 2011 a montré que 70 % des SDF ne présentent aucune pathologie psychiatrique, précise la directrice du Samu social. La rue peut révéler une pathologie sous-jacente, poursuit-elle, mais la rue ne rend pas fou s’il n’y a pas de pathologie antérieure. »

Autant d’éléments qu’il convient de garder en tête pour intervenir le plus efficacement possible. Intervenir dans l’urgence, comme le fait ici le Samu social en partenariat avec la Patrouille sociale de la Ville de Moscou, laquelle est devenue depuis sa création en 2009 un acteur essentiel et très organisé. Le Samu social intervient désormais comme expert et permet de soutenir l’ensemble du dispositif. Par ailleurs, l’étape qui suit la prise en charge sur le terrain est elle aussi déterminante, « c’est même l’échelon fondamental » : il s’agit du placement de la personne secourue en foyer de stabilisation. Là, les patients se reposent, se retrouvent avec eux-même et sont alors en mesure de quitter la logique de survie qui les oblige à ne plus écouter leur corps.  Un corps qui ne perçoit plus la douleur : « en général, c’est d’abord ce corps qu’il faut soigner avant toute chose », explique la directrice de l’antenne moscovite du Samu social. Un corps souvent meurtri : « les personnes secourues ont des profils tout à fait variables ; certaines sont dans la rue depuis quelques semaines, d’autres depuis vingt ans… » Dans le deuxième cas, il n’est pas rare qu’il ait fallu avoir recours à l’amputation.

Une chose ne varie pas ou peu : « les circonstances qui les ont « enfermé dehors » sont souvent de l’ordre d’une rupture avec la cellule familiale, un divorce, un décès... Une rupture mal digérée par ces personnes qui portent souvent en eux un traumatisme survenu dans l’enfance, traumatisme qui leur a laissé une certaine fragilité à l’âge adulte. »


Le docteur Boris Voïnov du Samu social Moscou consulte et établit une fiche de suivi pour chaque personne rencontrée (Photo Olivier Marchesi)
 

Et même s’ « il n’y a que des histoires individuelles », un profil type émerge, comme l’explique Anne Mondoloni : « un homme, la cinquantaine. Dans la majorité des cas, ces hommes ont une famille, mais les relations se sont dégradées, il y a certains obstacles à conserver le lien. » Quant aux femmes, « elles ont une autre stratégie dans la rue. Tout simplement parce qu’elles n’ont pas la même force physique que les hommes pour supporter de telles conditions de vie et recherchent davantage la protection. »

De manière générale, « nous rencontrons pas mal de migrants internes, c’est à dire de personnes venant de toutes les régions de Russie et non-enregistrés à Moscou et aussi de migrants issus des ex-républiques soviétiques, continue Anne Mondoloni. Mais la plupart sont russes. Le problème qui se pose souvent est que le système social russe repose sur le concept de l’enregistrement administratif. Et si vous êtes enregistré à Novossibirsk (Sibérie occidentale, ndlr), vous n’êtes pas censé recevoir une aide sociale à Moscou ou des soins dans un hôpital moscovite… »


Maria Sedushkina, coordinatrice générale du Samu social Moscou, recueille le récit d'un ex-SDF pour le projet de livre du Samu social Moscou (Photo Olivier Marchesi)

Alors chaque nuit, l’hiver, ce sont 500 à 600 personnes qui sont prises en charge par la Patrouille sociale de Moscou et placées jusqu’au lendemain dans un centre d’hébergement d’urgence. C’est sans compter la dizaine de bus chauffés stationnés prêts des gares, lequels permettent de soulager du froid pour un temps. En tout, ce sont aussi près de 1 000 places d’hébergement qui sont proposées en centre de stabilisation. À ce jour, il n’y a pas de refus d’hébergement. Et un sans abri moscovite a toujours un lit qui l’attend.

A PARAITRE :

Dans un livre édité d’ici fin 2016 (en français et en russe), quinze ex-sans domicile fixe moscovites racontent leur histoire. Le résultat de témoignages, parfois drôles, parfois touchants, recueillis par l’équipe du Samu social de Moscou auprès de patients qui ont réussi à sortir de la rue. En avant-première, La Dame de Pique publie aujourd’hui les récits illustrés de cinq d’entre eux dans sa rubrique FEUILLETON.


A proximité de la distribution de la soupe populaire devant la gare de Yaroslav (Photo Olivier Marchesi)

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