Agriculture bio en Russie : un concept d'avenir compatible avec le "manger-local"
Si des labels "bio" en tous genres et souvent peu fiables ont depuis longtemps investi les étals des supermarchés russes, aucune législation en la matière n'existe pour l'instant en Russie. Ce qui n'empêche pas certains établissements et producteurs locaux d'être à l'initiative de différents programmes appelant à plus de transparence sur la nature de leurs produits.
Illustration : Maroussia Nizovtsova pour La Dame de Pique
Les clients du restaurant Lavka Lavka de la rue Petrovka, l’une des artères vibrantes de la capitale russe, ne rencontreront sans doute jamais Tatiana, Sergueï, Alexeï, ni Natalia dont les noms figurent à côté des plats du menu de ce jour. Tatiana pour l'assiette de crudités issues de son potager situé dans les environs de Moscou, Natalia pour l'assiette de soupe traditionnelle russe, Sergueï pour le steak de veau et enfin Alexeï pour la glace maison.
Connaître l’origine des produits que l’on mange est un gage de qualité, considère l’un des fondateurs de Lavka, Alexandre Mikhaïlov. « Nous ne sommes pas un simple restaurant ou café, dit-il, nous sommes aussi un collectif militant pour une nourriture de qualité. Notre objectif est de créer des liens entre le producteur et le consommateur ».
Volonté de transparence, passion pour le manger-local
Depuis sa création en 2009, LavkaLavka (« petite épicerie » en russe) a pour ambition de proposer à ses clients des produits sains et frais. « Boris, le cofondateur de Lavka, et moi apprécions la bonne chaire. Or, les produits que l’on trouve dans les supermarchés et marchés russes ne sont pas frais, ils ne sont pas bons. Le lait n’a plus le goût du lait, la viande n’est plus de la viande », regrette Alexandre. Pour retrouver le goût des pommes de terre, des vraies, « préparées comme par nos babouchkas d'antan », il a fallu se tourner vers des fermes locales.
Illustration : Maroussia Nizovtsova pour La Dame de Pique
Aujourd’hui, le restaurant LavkaLavka est une référence pour toute clientèle attentive à la qualité des produits qu'elle consomme. Une clientèle faite d'expatriés, de jeunes gens branchés bio, mais aussi de familles adeptes du manger-local. Une petite révolution pour l’offre gastronomique moscovite, « mais surtout un grand pas en avant pour la nourriture bio ou organique », estime David. Cet ingénieur en biologie travaille aujourd’hui avec la direction de LavkaLavka à la mise en place d'un système de production organique.
Une guerre de labels
Et David avertit : « même si Lavka a fait beaucoup dans le domaine de la transparence alimentaire, leur nourriture n’est pas forcément bio ». En fait, « jusqu’à ce jour, la Russie ne dispose d'aucune législation concernant la nourriture biologique. Nous n’avons pas de labels qui garantiraient qu’un produit est bio, cultivé sans produit chimiques », continue David.
À défaut de législation au niveau national, à LavkaLavka, on a décidé de mettre en place un système de label en interne. « Ce label est destiné aux agriculteurs désireux d'apprendre à produire bio, explique-t-on. Nous avons un système de niveaux : S1 est le niveau de base pour quelqu’un qui prend le chemin d'une production bio ; S3, c’est pour quelqu’un qui a déjà parcouru une partie importante du chemin, et enfin S5 concerne les agriculteurs dont la production est à 100% bio. Pour le moment, nous n'en avons pas », conclut l'ingénieur.
Illustration : Maroussia Nizovtsova pour La Dame de Pique
Paradoxalement, voilà longtemps que le label bio a trouvé sa place dans les supermarchés russes. « Le problème en Russie, comme dans beaucoup d’autres pays, c'est que l’on ne sait jamais quels critères ont servi à obtenir tel ou tel label », explique Erica d’Alessandro, anthropologue américaine de l'Oregon. Lors de ses deux séjours d’études en Russie, celle-ci s’est penchée sur les productions organique et biologique du pays. David, notre ingénieur en biologie, est du même avis qu'elle : « Vous pouvez trouver des bouteilles d’eau avec le label organique. Mais une eau ne peut pas être organique, c’est ridicule. »
D’après David, la meilleure solution réside dans l’introduction d’un système de labels nationaux augmenté d'un travail méticuleux de contrôle. « La Russie a un énorme potentiel de développement dans le domaine de l'agriculture organique. Malheureusement, le manque d'information fait défaut », pense David. « Très souvent, les agriculteurs se voient proposer l’attribution d’un label bio contre de l’argent. Il faut donc les éduquer, leur expliquer le danger de faux labels ».
Le consommateur russe, fidèle au “made in datcha”
En attendant, pour développer l’offre, encore faut-il que la demande existe. Si dans les grandes villes, et en premier lieu Moscou et Saint-Pétersbourg, la consommation bio progresse, cette tendance concerne une minorité des Russes.
Illustration : Maroussia Nizovtsova pour La Dame de Pique
Même à Moscou, les consommateurs bio nourrissent des préjugés quant à la provenance de leurs produits, raconte Erica d’Alessandro. « J’ai pu observer que les habitants de Moscou sont très réticents aux produits cultivés aux alentours de Moscou, continue-t-elle, même lorsqu'ils sont certains que ces produits sont sains et bio. Les Moscovites sont adeptes du manger-local, mais pas trop local quand même! Je crois que pour eux, résume l'anthropologue, une production proche de Moscou est forcément exposée à la pollution. »
Une exception cependant : les produits qui proviennent des datchas. C'est là une particularité russe de supposer que tout ce qui vient d’une datcha est sain, explique Erica. « J’ai souvent entendu des propos du genre : « je mange bien car je mange de produits de chez ma grand-mère ou encore, j’ai acheté ces produits à une babouchka le long d’une route ». Finalement, les gens ne se posent pas la question de savoir si les produits ont été traités chimiquement ou encore si la terre dont ils proviennent est polluée. Non, dans l’esprit du Russe moyen, un produit made in datcha est forcément synonyme de bonne santé et de qualité. »