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« Ce vin a le goût de la terre russe et la rigueur de la Suisse »

Par VALÉRIAN CERINO

Depuis 2001, Marina et Renaud Burnier exploitent un vignoble à Natoushaevskaya, dans le Kraï de Krasnodar (Sud-Ouest de la Fédération de Russie). Le couple possède par ailleurs une activité à Vully, en Suisse. Sur les marchés de la Confédération, le vin russe reste une curiosité : voilà « le dernier vignoble méconnu d’Europe. »

Le vin est la troisième boisson alcoolisée la plus consommée en Russie, derrière la vodka et la bière. Le vignoble russe, lui, se concentre aux marges du pays, entre les rives de la mer Noire et celles de la mer Caspienne : on le retrouve dans le Kraï de Krasnodar, celui de Stravropol, dans l’oblast de Rostov-sur-le-Don et dans la République du Daguestan. D’aucuns mentionneront aussi la Crimée.


Des vignes du domaine Burnier, près d'Anapa (sud-ouest de la Russie). Photo DR

En matière de concours, le vin russe n’en est pas à sa première récompense. En 2018, le Krasnostop a été nommé « meilleur vin autochtone de Russie ». En 2019 et 2020, c’est le doomaine Burnier, porté le couple russo-suisse formé par Marina et Renaud Burnier, qui a remporté deux médailles d’or lors du Salon International du vin de Bruxelles) la première avec un chardonnay, la seconde avec un cabernet franc. Bien que leur exploitation ne soit pas classée bio, les Burnier cultivent leur vigne à mi-chemin entre biodynamie et agroforesterie, en utilisant peu d’herbicides et aucun insecticide.
 

« Une course aux vignobles en Russie »
 

En l’espace de six ans, beaucoup de choses ont changé (voir notre article consacré au domaine Burnier en 2014) : longtemps considéré comme un produit industriel peu raffiné, le vin autochtone russe bénéficie depuis quelques années d’une belle visibilité. Pour les plus fortunés et la classe politique, la possession de vignes et la création de caves sont devenues un must have, comme nous l’explique Marina Burnier. Renaud confirme : « il y a une course aux vignobles ».


Vignoble russe (Photo DR)

La Russie est aujourd’hui membre de l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV), qui a pour but d’harmoniser les pratiques de la filière et d’accompagner les états membres dans leurs activités normatives. C’est naturellement, donc, que les normes russes se rapprochent de celles des autres pays membres a mesure que les années passent. D’ailleurs, la Fédération de Russie a déposé il y a peu une demande pour que le russe devienne la 6ème langue officielle de l’organisation. Le marché étant maintenant en plein essor en Russie, les retards observés dans le pays, en matière d’infrastructures et d’expertises notamment, ne seront bientôt qu’un lointain souvenir.

Si le Ministère de l’Agriculture affichait, en 2007, un objectif de 170 000 hectares de vigne cultivés à l’horizon de 2020, la surface agricole n’excède pas 100 000 hectares à ce jour. Désormais, on parle de 350 000 hectares cultivés d’ici à 2030. Pour aller dans ce sens, le gouvernement russe a mis en œuvre une politique de subventions destinées aux exploitants en échange de quoi, la mise aux normes des exploitations est obligatoire. Des subventions plus importantes en Crimée qu’ailleurs : la région tient lieu de vitrine de la filière.


Le domaine Burnier (Photo DR)

Autre nouvelle réglementation depuis 2020 : le vin « russe » ne peut désormais être fabriqué qu’à partir de vignoble local, ce qui revient à restreindre dans le futur l’utilisation de raisins importés. Depuis juillet 2020, les vins étrangers mis en bouteille en Russie (principalement géorgiens, moldaves ou arméniens) doivent ainsi être vendu sous l’appellation de « boisson alcoolisée à base de raisins » et ne sont plus vendus dans les mêmes rayons que les vins russes.
 

Les sanctions occidentales prises à l’encontre des exportateurs travaillant en Russie ont clairement incité le gouvernement à accélérer le développement de la filière. Heureusement pour les Burnier, la Suisse n’a pas participé à cette politique de sanctions. Les exportations en direction de la Confédération helvétique n’ont donc pas été affectées. Dans ce contexte de sanctions-contre-sanctions, la souveraineté alimentaire est devenue une des priorités du ministère. Le 4 février 2021, à l’occasion de la rencontre d’affaires Russie-Auvergne-Rhône-Alpes, la responsable du pôle « Agro » de la Chambre de commerce et de l’industrie (CCI) France-Russie, Olga Dengina, a confirmé que d’ici à 2030, le gouvernement russe espérait que 80% de la consommation de produits agricoles proviendrait de la Russie.


Cabernet Sauvignon, domaine Burnier (Photo DR)
 

Quant au consommateur russe, ses habitudes ont bel et bien évolué ces dernières années : la préférence donnée aux produits locaux et peu transformés est devenue réalité en Russie comme partout ailleurs et ceci pour plusieurs raisons. Pour une raison économique tout d’abord : la chute du rouble a provoqué une augmentation du prix des bouteilles étrangères présentes sur les étalages des supermarchés russes. Pour une raison qualitative ensuite : l’implication des pouvoirs publics et l’intérêt des investisseurs pour le marché du vin russe a permis d’améliorer très nettement la qualité de la production autochtone. À noter que le consommateur russe a développé un intérêt particulier pour le savoir-faire, les méthodes, les techniques de fabrication et la « chimie du vin », comme l’explique Marina Burnier. Le vin russe est aujourd’hui un produit à la mode ; en 2019, 49% du volume de vin consommé en Russie provenait de la production nationale. « Le Caucase a été une grande surprise pour beaucoup de Russes », précise quant à lui Renaud Burnier.

Placé sous le signe du Covid, l’été de la jeunesse dorée s’est trouvé bouleversé l’année passée. Pour les plus fortunés des jeunes Russes, les vacances à l’étranger ont laissé place à un séjour-maison dans le sud de la Fédération. Un phénomène qui a véritablement profité aux viticulteurs russes : avec cette nouvelle clientèle, des investissements ont rapidement suivi dans la région. De manière générale, le sud de la Russie s’est offert une belle visibilité en 2020. Dès lors, les Russes ont pu constater que les vins du Caucase n’avaient rien à envier à leurs concurrents occidentaux.

Aujourd’hui, les relations avec les clients doivent se faire avec l’internet, faute de mieux. « Il faut boire en partageant », lance Marina. Plus facile à dire qu’à faire en ces temps de pandémie. Pour améliorer la visibilité de l’exploitation, Renaud et Marina Burnier envisagent de se tourner vers l’œnotourisme, un marché dynamique dans le sud de la Russie. En effet, les espaces naturels à la marge de l’exploitation ont été extrêmement bien préservés, ce qui garantie un cadre touristique unique. « Est-ce que mon vin est russe ou européen ? C’est un vin qui a le goût de la terre russe et la rigueur de la Suisse », estime Renaud Burnier. Et Marina de conclure : « c’est un vin du monde. Et la vigne du Caucase, un fruit sauvage qui a été domestiqué. »


La famille Burnier (Photo DR)

QUELQUES REPÈRES :

Les premières traces de vitis vinifera sylvetris (nom de la vigne sauvage en latin), qui datent de 8000 avant notre ère (6000 av. J.-C.) ont été retrouvées en Géorgie, dans le Caucase. Ces montagnes sont le berceau historique de la vigne sauvage, que l’on nomme également « lambrusque ». Dans la région, la culture de la vigne commence à la suite de la colonisation des bords de la Mer Noire par les Grecs, dans la péninsule du Taman, à partir du 8ème siècle av. J.-C. Cette tradition de sélection des fruits est continuée par les Khazars, les Cosaques, les Tatars, les Tcherkesses et enfin les Russes.

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