Scène

Scène rockabilly russe : « Vous êtes prêts pour Mister Twister ? »

Par Jelena Prtoric

À mi-chemin du rock et de la musique country, le rockabilly made in Russie a trouvé un digne représentant en la personne de Mister Twister. Considéré comme le premier groupe rockabilly russe, l'irréductible trio moscovite continue de se produire sur les scènes de Moscou et d'ailleurs. Trente ans après.

© Mister Twister

Avant de saisir ses baguettes et de s'asseoir derrière sa batterie, Valeriy - jean moulant, ceinture chaîne, bras couverts de tatouages - finit son verre cul sec. « Vous êtes prêts pour Mister Twister? », lance-t-il au micro. On s’attend à une explosion de rock, tandis que l'ambiance qui règne dans le bar reste bon enfant. L'éclairage est feutré, des couples attablés s’apprêtent à manger, un groupe de jeunes filles, cocktails en main, prennent queques selfies. Des clients accoudés au comptoir sont à la bière et se mettent à bouger la tête au rythme de la musique.


 

Mister Twister, ce trio contrebasse-guitare-batterie, est tenu pour être l'un des tous premiers groupes rockabilly à jouer de ce côté du Rideau de fer. Alors que les premiers groupes rock apparaissent vers la fin des années 1960 en URSS, la naissance du rockabilly – ce style musical à base de rock et de country et répandu à l'Ouest depuis les années 1940 – ne remonte en Union soviétique qu'au mois de décembre 1985 : ce jour-là, les Mister Twister se produisent sur scène pour la toute première fois.

« Mister Twister – comme dans le poème – est un mauvais impérialiste mais ça fait un joli jeu de mots »

« On me pose souvent cette question : comment c’était de jouer en URSS? », confie Valeriy. « C’était comme partout, continue-t-il. Nous avons commencé à l’époque de la Perestroïka, il y avait donc déjà une certaine ouverture. Je n’ai pas eu de mauvais expériences, je n’ai jamais subi de répressions », se rappelle-t-il. Aujourd’hui, le nom du groupe est tout ce qu'il reste de cette époque, en référence à un poème pour enfant du poète soviétique Samuil Marshak. « Mister Twister était millionnaire, propriétaire d’usines, de journaux et de bateaux à vapeur... Donc un mauvais impérialiste. Mais tout le monde connaissait ces vers... Et cela faisait un joli jeu de mots » , explique le batteur du groupe.


 

Le groupe russe Mister Twister (photo Jelena Prtoric)

Tout jeune, Valeriy est féru de punk. « Les jeunes rockers de l’époque avaient tous les cheveux longs, des pantalons de hippies. Avec deux amis, nous avons décidé d'aller à contre-courant de cette mode ». Les trois musiciens adoptent alors un style quelque peu extravagant sous l’Union soviétique – « pantalons usés, vestes de cuir, le tout très moulant, troué et couvert d’épingles de sécurité et de clous en métal » – sans compter leur musique, bien plus rapide et agressive que le rock. « Sans connaître le punk, nous nous approprions des morceaux bien connus, soviétiques ou internationaux, et nous les mettions à notre sauce. Nous avons fait du punk avant les punkers occidentaux », plaisante-t-il.

Au commencement était Elvis

Son amour pour le rockabilly naît avec les disques d’Elvis et se scelle avec la découverte de musiciens comme Bill Halley, les groupes Shaking Stevens et Stray Cats. Une rencontre fortuite avec son futur bassiste, lors d’un festival de jeunesse à Moscou, et il décide de troquer une vie bien rangée contre une carrière de batteur rockabilly. Aujourd’hui, Valeriy est le seul membre d'origine du groupe, depuis la mort de Vladimir Dorohov en 1990 et le départ d’Oleg Osmanov en 1999.


 

Andreï n’a jamais assisté à un concert du premier groupe Mister Twister, mais depuis les années 2000, il est régulièrement dans le public lorsque Valeriy joue. « C'était un vrai modèle pour nous, à nos débuts », explique-t-il. Andreï fait partie du groupe psychobilly Beat Devils, qu’il a fondé en 2004 avec deux amis, Mikhaïl et Feodor.


Les Beat Devils (photo DR) 

Bercé – ou plutôt secoué – par le punk durant son adolescence, Andreï découvre le psychobilly à l’âge de 19 ans. Cette fusion entre le rockabilly et d’autres styles musicaux plus agressifs tels que le punk ou le rock l’attire immédiatement.

« Le russe ne rime pas très bien avec psychobilly »

« Pour moi, ce qui importe, c’est la musique, le son que je produis avec ma guitare, l’énergie qui se dégage de la scène. » Quant à savoir s'il y a un son proprement russe : « chaque groupe a son propre style, croit-il. Mais les sujets que l’on traite sont les mêmes que dans le reste du monde : nos chansons parlent de zombies, de filles, d'amour, peu importe. Et puis, nous chantons en anglais, comme tous les groupes russes du même style. L’anglais joue un rôle vital dans cette musique, un rôle que l'on pourrait comparer à celui d’un instrument de musique, alors que le russe ne rime pas très bien avec psychobilly. »  


 

Les Beat Devils (photo DR) 

De toute façon, souligne-t-il, « nous ne jouons pas qu’en Russie », mais aussi lors de nombreux festivals à l’étranger.


 

« En Russie, rockabilly et psychobilly restent des styles de musique confidentiels. La scène est concentrée surtout dans deux villes, Moscou et Saint Petersbourg, et elle n’est pas grande », regrette Andreï.  Néanmoins, des liens forts existent entre leur communauté et les rockabilly d’Ukraine où, à Kiev, se déroule le plus gros festival psychobilly d'Europe de l’est.

« Je n'ai pas travaillé un seul jour de ma vie »

« Toute la communauté alternative se réunit autour des mêmes évènements. Nous jouons souvent dans les mêmes clubs et lors des mêmes concerts que les groupes punk et métal, aux festivals de bikers », explique-t-il. Selon Valeriy, « la situation n’est pas exceptionnelle », mais si on joue beaucoup, on peut gagner sa vie. « Quand nous avons commencé à jouer, je me suis promis que la musique serait ma vie. Aujourd’hui je me félicite, car je n’ai pas travaillé un seul jour de ma vie. Si on ne fait pas son difficile, on arrive à jouer suffisamment ».

Pour le groupe Beat Devils, la réalité est un peu différente : avec cinq à six concerts par mois, chacun des membres du groupe a un “vrai” travail à côté.


 

« Avec la musique, tu gagnes assez pour enregistrer tes disques, louer un studio et t’acheter des bières après le concert », explique Andreï. Mais « en Russie, seulement les groupes très connus ou ceux qui jouent n’importe où peuvent vivre de la musique... Jouer dans des restaurants, sur une toute petite scène, devant des gens qui dînent… Ce n’est pas ce que l’on a envie de faire ».


Écoutez un morceau des Mister Twister :

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