Voyage

Paris-Moscou en 40 heures

Par CAROLINE GAUJARD-LARSON

Cinq ans après le lancement de la nouvelle ligne, le train Paris-Moscou a fait peau neuve. Depuis 2015, les onze voitures de la compagnie des chemins de fer russes n’ont plus grand-chose à voir avec le confort minimum des voitures soviétiques d’alors. Nous avons fait le trajet. À bord, il y avait Véra, Brigitte, Jean-Louis, Amélie et Galina.

Vu du quai, gare de l’Est, le train flanqué du sigle rouge de la compagnie de chemins de fer russe (RZD) ressemble à n’importe quel train domestique en service dans la Fédération. C’est l’été. En cette saison, les panneaux horaires de la gare parisienne affichent la destination Moscou deux fois par semaine. D’ici à deux jours, le train desservira entre autres Strasbourg, Francfort, Berlin, Varsovie, Minsk et son terminus, Moscou, après 40 heures de voyage.

Un peu long direz-vous, alors que l’on peut relier Moscou en dix fois moins de temps par les airs et pour un prix équivalent (environ 200 euros). Si vu de l’intérieur, la configuration des wagons rappelle celle des mythiques trains russes, les compartiments – pour quatre personnes ou pour deux pour les cabines les plus luxueuses – sont  flambant neuf  et ne sont pas accessibles sans un badge magnétique qu’il conviendra de restituer à l’arrivée. La ligne reliant les capitales française et russe existe depuis 2010. En revanche, ses tout nouveaux wagons ont moins d’un an.


Vera, parisienne depuis de longues années, a embarqué pour la Biélorussie. (Photo Ksenya Yablonskaya)

« Avant je travaillais sur le Moscou-Prague », explique  le directeur du train ce jour-là, affecté sur le Paris-Moscou depuis l’entrée en service des nouveaux wagons le 25 janvier 2015. Une ligne qui fait le plein de voyageurs à 80 % en haute saison, précise-t-il. « La plupart des passagers sont russes, kazakhs, biélorusses, ukrainiens, parfois allemands. Beaucoup de nos compatriotes vivent aujourd’hui à Berlin, par exemple. »

Véra, elle, est biélorusse. Elle est montée à Paris et s’arrêtera à Minsk, avant de rejoindre une petite localité, à environ une heure de route de la capitale biélorusse. Dans le compartiment 75, elle tente de caser un nombre impressionnant de sacs, par ailleurs énormes. « Vous allez aider moi ? », demande cette dame de 63 ans, afin de répartir au mieux lesdits sacs entre nos deux compartiments. Véra ne rentre pas souvent chez elle, au Bélarus. La dernière fois, c’était il y a trois ans. Enfin, chez elle, c’est Paris maintenant, depuis de longues années déjà. Là, elle a six jobs qui lui permettent de survivre :  trois boulots déclarés, trois autres au noir, confie-t-elle facilement : « je passe ma vie à courir. » Au début, pendant ses douze premières années parisiennes, Véra n’a pas pu se permettre de revenir en Biélorussie. Quand elle apprend qu’une jeune Biélorusse partage le compartiment voisin du sien, elle s’en va immédiatement faire les présentations. Vingt minutes plus tard, la jeune Ksenia sait presque tout de la vie de Véra.

Son mari est décédé il y a déjà près de vingt ans. Partie travailler à Paris pour gagner un peu plus et pouvoir offrir une opération chirurgicale du dos à sa fille en France, Véra a élu domicile près de l’Arc de Triomphe, avenue Kléber. « Une petite chambre, dit-elle, mais c’est bien, ça va. » Et puis, « à Paris, je suis esclave », répond-elle en souriant à demi comme on lui demande sa profession. « Paris, oui c’est très beau… sur la carte postale. » Véra raconte alors à quelles mésaventures parisiennes elle a dû faire face, cela ne la fait plus sourire : des agressions verbales, des vols – tout son argent et ses documents d’identité – « parce que je suis une immigrée. » Véra parle français. Un français souvent à l’infinitif. Ses yeux s’illuminent un peu lorsqu’elle évoque son seul loisir, entre deux jobs : des bals parisiens pour personnes âgées. Quand elle le peut, elle va aussi à l’église, mais n’a jamais le temps d’écouter le service jusqu’à la fin.


En gare de Berlin (Photo Kseniya Yablonskaya)

À côté d’elle, Brigitte et Jean-Louis, la cinquantaine, sont tout aussi aimables. Alsaciens, ils ont dû rejoindre Paris pour pouvoir monter dans le train. « À Strasbourg, où le train s’arrête pourtant, c’était impossible ! », expliquent-ils. Plus bavarde que son époux, Brigitte raconte alors les cinq mois de galère qui ont précédé l’obtention des billets de train. Brigitte ne prend pas l’avion : ça tombe bien, les pays qui l’ « intéressent sont accessibles en train ». C’est le cas de Moscou où l’attendent son fils et son amoureuse russe, Macha, dont Brigitte se réjouit qu’elle puisse leur servir de guide.

« L’une des principales motivations des passagers de ce train est d’éviter l’avion, par peur ou pour éviter le stress du voyage », raconte le directeur du train. « Dans nos compartiments, les gens peuvent voyager détendus, ils prennent le temps. En particulier dans les compartiments luxe (deux fois plus cher qu’une place en compartiment de quatre, avec télévision, salle de douche et toilettes privées, ndlr). Au total, nous avons huit voitures « coupé » (pour 4 personnes, ndlr) et trois voitures luxe. »

Trois heures du matin. Des rires émanent du compartiment 75 : un homme russe est monté à Francfort et est en mesure de parler allemand avec le couple alsacien. « Babouchka, troïka, vodka ! » se marre Brigitte. « Voda, piva… » : le nouveau venu vient de lui apprendre deux autres mots.

Le lendemain midi, nous retrouvons Brigitte et Jean-Louis attablés dans le wagon restaurant. Ils ont l’air d’attendre leur premier plat de la journée avec impatience. Entre Varsovie et Paris, c’est un restaurateur polonais qui fait le service. La carte, du genre gastronomique, est alléchante et les prix sont affichés en euros (nous sommes encore en Allemagne). On ne peut pas dire qu’il y ait foule. Ce qui n’empêche pas un service impeccable et souriant. Après Varsovie, ce sont les chemins de fer russes qui reprennent possession des cuisines.


En gare d'Orcha, Biélorussie (Photo Kseniya Yablonskaya)

Justement, la frontière biélorusse approche. Bientôt, les rails ne seront plus de la même largeur. Un détail technique qui nécessitera une immobilisation de quelques heures, juste avant la douane. La douane, Véra la redoute visiblement. Elle est “un peu” chargée. Peut-être des cadeaux pour ses proches. Peut-être des produits introuvables en Biélorussie que Véra espère revendre à bon prix. Toujours est-il que la voilà plus détendue une fois les contrôles passés sans encombre. Ce n’est pas le cas de Galina, citoyenne russe, et de sa petite fille de deux ans, Amélie, citoyenne française, censées descendre au terminus, Moscou. « Elles ont dû descendre toutes deux en pleine nuit à Brest (frontière biélorusse, ndlr), nous apprend leur ex-voisin de compartiment. La petite n’avait pas de visa de transit… »

Le dernier jour se lève comme le Paris-Moscou entame sa course en Russie. Après Smolensk (ouest de la Russie), Brigitte a bien du mal tenir en place. Le nez à la vitre dans le couloir, elle compte les quelques heures qui la séparent de son fils et de sa Macha. À Moscou, gare Belorusskaya, à 12h33 tapantes ils sont là.


La gare de Belorusskaya à Moscou, terminus du train (Photo Kseniya Yablonskaya)

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