Lettres

Au nom du slam

Par DARIA PRODAEVICH

13 poètes, 5 jurés, 3 minutes pour convaincre : ce dimanche 29 mai a lieu Le Grand Slam de Moscou au club Vermel. À l’issue de cette bataille poétique, le gagnant rejoindra les lauréats déjà sélectionnés en région lors du Grand Slam National de Russie en novembre prochain, une compétition qui distinguera un ambassadeur russe au Slam International de Paris l’année suivante. Avant de monter sur scène, trois prétendants nous parlent poésie.


Pavel Mikhaïlov (Photo Kseniya Yablonskaya pour La Dame de Pique)

La Dame de Pique : Comment avez-vous commencé à écrire de la poésie?

Tash Granovsky : Comme la plupart des gens, ça a été un moyen d’expression dans ma jeunesse. J’écris de manière permanente depuis huit ans. Cela implique de percevoir le monde autrement, de façon à pouvoir en tirer des images, des traits, des touches…

Mikhail Chevega : J’ai commencé à écrire à l'âge de quinze ans, tout a commencé à l’école. J’avais un camarade qui écrivait une poésie imbuvable. Nous avons créé un groupe de musique, il a décidé qu’il écrirait les textes et que moi, je jouerais de la guitare. J’ai pensé : ce n’est pas possible d’écrire si mal! J’ai dit : non, ça ne se passera pas comme ça, et même, je vais écrire mes propres poèmes. Alors j’ai écris un texte, qui était juste un peu meilleur que le sien! Après ça, j’ai continué à écrire, jusqu’au moment où mon frère, qui était à la basse, est tombé amoureux du mec qui jouait en solo à la guitare et le groupe s’est séparé. Je ne suis pas un bon musicien, mais j’aime écrire des vers.

Pavel Mikhailov : Pendant longtemps, je n’ai jamais partagé mes poèmes, je les écrivais pour moi-même, tout simplement. Un jour, ma mère m'a dit : « décris une rose. Tu te rappelles ? On a donné le même devoir à Pouchkine lorsqu’il était jeune. » Et bien, j’ai décrit la rose, j'avais 15 ans. Plus tard, j’ai fait la connaissance d’Andrey Rodionov au concours poétique J. Brodsky, Andrey était dans le jury. Par la suite, j'ai posté des poèmes sur Facebook, Andrey les a vus et m’a dit : « viens au Slam. » Au final, j’ai décroché la deuxième place au Slam de Moscou.

LDDP : Que signifie la création poétique pour vous?

Tash : La poésie garde l’esprit alerte. C’est comme un symptôme de trouble obsessionnel compulsif : j’écris sans arrêt, ça ne me coûte pas. L’écriture, ce n’est pas un processus que je suis capable de planifier à l’avance. Vendredi, à 7 heures 30, j’écris un poème ? Non, c’est un processus permanent : tu arraches un dialogue de la foule...

Mikhail : Au début, j’avais très peur de prendre la parole en public, mais tôt ou tard un poète a envie de partager sa création, et peu importe le succès ou le mépris qui l’attend. Tu vois, à un certain moment, un conflit se forme dans ton esprit : tu écris des poèmes, mais tu ne les montres à personne. C’est le contraire qu’il faut faire, notamment d’un point de vue psychologique : si tu as un moment inavoué, tu dois l’exprimer. C’est pourquoi dans ma carrière poétique, le slam a joué un rôle décisif, parce qu’il m’a poussé sur scène. J’ai gagné le premier tour des sélections, ensuite j’ai pris la deuxième place lors de la finale. Puis Rodionov m’a invité au Slam National à Voronej, et c’est parti du bon pied. En général, le plaisir ressenti est presque physique quand ton texte est réussi. Tu exprimes quelque chose qui vient de toi, tu te places dans un système de coordonnées. Et puis un rythme te vient, quelques lignes sont jetées, mais tu n’a pas encore de plan. Tu te mets à faire quelque chose avec ces lignes et puis, tout d’un coup, tu as écrit un poème!


Mikhaïl Chevega (Photo DR)

LDDP : Vous considérez-vous comme des poètes professionnels ? Qu’est-ce qu’il faut faire pour devenir poète?

Tash : Un professionel diffère d’un amateur en ce qu’il gagne de l’argent avec son activité. On dit parfois que pour accéder à un certain niveau de pratique, il faut 10 000 heures... Je crois qu’il faut essayer! Une poésie géniale, c’est un peu comme de belles boucles noires qu’on distingue dans la foule : ça attire toujours l’attention. 

Pavel : Non, je ne suis pas poète, j’écris seulement des vers. Par ailleurs, je suis artiste et j’organise des projets culturels au musée Brodsky. Je crois que je pourrais me faire appeler poète lorsque mes livres seront publiés et 10 000 exemplaires vendus.

Mikhail :  Mais de quoi parles-tu? Les livres – ça ne veut rien dire ! Tu as 20 000 roubles ? Sors-les et publie tes livres. C’est à toi de décider, si tu es poète ou non. Tu te rappelles, dans Le Miroir de Tarkovsky, il y avait un jeune homme bègue, qui disait « je parle, je parle »... Il le dit, donc il parle. Tu dis juste « je suis poète », comme Vera Polozkova l’a dit, et alors tu es poète. En Russie, il y a 300 ou peut être 500 poètes contemporains, dont 20 sont très bons, 100 sont bons et les autres sont moins bons. Il y en a pour tous les goûts. Beaucoup se moquent de ces « poètes », qui ont 100 000 abonnés sur le réseau social Vkontakte, n’empêche, ils sont visibles et très demandés.

Tash : Non, on doit élever le lecteur au niveau de la littérature!

Mikhail : Je crois que le plus important, c’est de susciter l'intérêt.


Tash Granovsky (Photo DR)

LDDP : Est-ce que vos créations sont inspirées par d’autres poètes?

Pavel : Mes poètes préférés sont Brodsky, Harms, Mandelstam. J’écris à la façon Brodsky, bien sûr.

Mikhail : Au début Mayakovsky, puis Brodsky : ils émerveillent. D’abord, tu tentes de faire quelque chose de semblable, puis ce premier stade est dépassé, tu commences à faire quelque chose d’original... Tash, dis-moi, est-ce que j’ai un style particulier? 

Tash : Je ne peux pas envisager tes textes de ce point de vue, je n’ai pas la formation pour, Misha! Tes textes ne ressemblent qu’à toi, ils sont géniaux putain!

LDDP : Comment créez-vous vos poèmes?

 Tash : Je n’ai pas de schéma de création précis, ça arrive parfois à 5 heures du mat’ – bam ! écris-le, écris-le ! – Oh putain, je ne veux pas... – Et puis, tu te lèves et tu commences à écrire ! – Au diable le « je vais dormir, je vais tout retenir ». Parce que le matin, tu te lèves et tu ne te rappelles plus de rien! Il faut  parfois se forcer à travailler. Certaines fois, un ou deux mots, une ligne te viennent à l’esprit : il faut absolument les inscrire pour que quelque chose en sorte après.

 Pavel : Ah, à propos, une ligne me cause du souci : « Vse Shivy Zhivy » (tous les Shivas sont vivants).

 Tash : Ces vers sont géniaux putain!

 Mikhail : Retiens-les, ça va te servir. Est-ce que tu lis Lukomnikov (poète russe arrivé second au Slam international à Paris en 2015, ndlr)? Il peut t’apprendre à écrire un poème entier avec deux lettres!

En 2001, le slam a été importé d’Europe en Russie par Vyacheslav Kuritsyn, écrivain et critique russe. Dès lors, cette discipline a constitué l’un des événements littéraires les plus populaires à Moscou, mais aussi dans le reste de la Russie. Aujourd’hui, des tournois de slam se tiennent entre autres à Vologda, Nijni Novgorod, Ekaterinbourg, Kaliningrad, Perm et Krasnoyarsk. Chaque année, le lauréat du Slam National se produit au Slam International à Paris. En 2015, le célèbre poète russe, German Lukomnikov, est arrivé deuxième au concours parisien.

Grande finale du Slam de Moscou, dimanche 29 mai 2016 à 20h
Club Vermel, Rauchskaya naberezhnaya, 4
Entrée : 200 RUB

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