Voyage

Kazan : la ville qui s'est (presque) faite en trois ans

Par CAROLINE GAUJARD-LARSON

Kazan, capitale de la République du Tatarstan, tire son épingle du jeu de la petite quinzaine de villes millionnaires de province russe. À tous points de vue : politique, économique, religieux, touristique et urbanistique. Tour d’horizon de cette métropole florissante et élève modèle de la Fédération de Russie.


Photo Arnaud Finistre

Ivan le Terrible exigea une petite église dans le kremlin de Kazan, après que la ville fût annexée par la Russie sous son règne, au XVIème siècle. Il se dit que le bâtiment fut construit en trois jours : c’est peut-être vrai. Il n’y a qu’à voir avec quelle rapidité la capitale du Tatarstan a changé de visage depuis 2005, année où elle a fêté son millénaire. Le badaud de passage à Kazan mettra un peu de temps avant de se rendre compte que la plupart des somptueux palais qui s’étendent de toutes parts du centre ville datent d’hier et que ce qui ressemble à une résidence présidentielle n’est autre qu’un théâtre de marionnettes – institution importante partout en Russie il est vrai.

« C’est quel siècle? », demandera-t-il peut-être. « Ce bâtiment a été inauguré il y a six mois, un an, cinq ans », lui répondra-t-on à coup sûr. Il faut dire que la sixième ville de Russie de par sa population (environ 1,2 million d’habitants, moitié russes, moitié tatars) est depuis quelques années le théâtre de nombreux événements d’envergure internationale, essentiellement sportifs. Après les Universiades d’été en 2013, pour lesquelles la Ville et la République ont mis les petits plats dans les grands,  Kazan a accueilli les championnats du monde d’escrime (2014) et plus récemment, les championnats du monde de natation (août 2015). Mais le plus gros reste sans doute à venir : Kazan fait partie de ses villes russes qui accueilleront des matchs du Mondial de foot 2018.


Ouvert dès 2013, le Kazan-Arena est le stade du club de foot de 1ère division nationale FK Rubin Kazan et accueillera des matchs de la Coupe du monde de football 2018 (Photo Arnaud Finistre)

Prête pour le Mondial de foot 2018

Pas d’inquiétudes à avoir (comme à Kaliningrad, cette enclave russe européenne dont la construction du stade censé accueillir la Coupe du Monde est bien en peine faute de financements suffisants pour un projet dont la démesure interroge) : Kazan, elle, est déjà prête, et ce depuis 2013, année des Universiades d’été pour lequelles sont sorties de terre de nouvelles infrastructures majeures. Aussi, la capitale de la République du Tatarstan a-t-elle déjà son stade, son campus flambant neuf, sa ligne de métro (qui sera augmentée d’une seconde ligne à l’horizon 2018), son aéroport international, ses deux gares ferroviaires. Ne lui manque qu’une ligne de train à grande vitesse la reliant à Moscou en quelques heures (une nuit de train actuellement) : ce devrait être chose faite d’ici le Mondial de foot avec la nouvelle ligne Moscou-Kazan (“Sapsan”), même si sa construction et son financement sont régulièrement remis en question, ce qui retarde quelque peu le projet des Chemins de fer russes (RZD).


Les mariages officiels sont célébrés dans le palais du « chaudron » de Kazan, ville dont le nom même signifierait « chaudron » à cause de la forme de chaudron retourné de la colline sur laquelle la ville est construite (Photo Arnaud Finistre)

Il faut dire que le centre religieux musulman de Russie (le plus au nord du monde) jouit de ressources abondantes, issues des exploitations pétrolières et gazières en premier lieu. Prospère, l’économie régionale repose aussi sur l’agriculture et peut compter sur la présence d’importantes usines aéronautiques.

Arrosé par la Volga et la rivière Kazanka, l’imposant centre ville historique de Kazan, articulé autour de son kremlin, ne représente en réalité que quelque 5 % de la superficie totale de la ville. Outre les constructions récentes évoquées, ses bâtiments plus anciens datent surtout des XVIIème, XVIIIème et XIXème sècles. Comme dans toute ville de l’ex-URSS, ces derniers sont ceinturés par des ensembles d’architecture soviétique et ses quelques bâtiments du style constructivisme. La très récente rénovation du centre historique a vu renaître un pan essentiel de son patrimoine : le quartier tatar, longtemps resté en piteux état. Aujourd’hui au centre de l’attention de la municipalité, le quartier et ses anciennes mosquées ont retrouvé leurs couleurs, ce à quoi l’on a ajouté un important Centre de la culture tatare. À bien y regarder, on construit encore un peu. Les quelques chantiers encore en cours sur les rives la Kazanka préparent aujourd’hui l’érection d’aires de loisirs.


La mosquée Kul Sharif est la plus grande mosquée d’Europe. Située dans l’enceinte du kremlin de Kazan, elle peut accueillir 1 600 fidèles pour une superficie de 19 000 m2 (Photo Arnaud Finistre)

« Il y a encore des quartiers en mauvais état », confie Tatiana Prokofieva, architecte en chef de Kazan depuis 2009. « Mais je n’ai pas honte de ces sites, chaque ville a les siens. Il est vrai que certains sites industriels ne sont pas vraiment attirants mais nous allons les développer. À l’origine, il s’agit surtout d’entrepôts de marchandises. À terme, cela deviendra un pôle multifonctionnel comprenant des habitations. » Il y a peu, des quartiers extérieurs ont été rattachés à la Ville : « des quartiers souvent agricoles, d’anciens champs. Il le faut car la population augmente, la ville se développe », justifie Tatiana Prokofieva.

Priorité à la réhabilitation des quais

Mais « la priorité numéro un aujourd’hui, ce sont les quais. Ce chantier est essentiel pour les habitants de Kazan », explique l’architecte qui veut « rendre aux habitants leurs richesses naturelles et leur permettre de se baigner ». Même si plusieurs plages, souvent non-officielles, et quelques autres lacs, existent déjà et sont aujourd’hui très fréquentés.

« Nous nous attachons à mettre l’individu au centre de tout », reprend l’architecte en chef de Kazan. « Nous construisons aussi de plus en plus de parcs, de squares. » Compte tenu de la croissance rapide de la population locale, le « besoin en logements est éternel et comme le centre historique a été libéré des bâtiments d’habitation, ce besoin est important. »


L’aménagement des quais est actuellement le chantier prioritaire de la Ville de Kazan (Photo Arnaud Finistre)

Quant à faire cohabiter bâtiments historiques et constructions d’architecture contemporaine, « ce n’est pas facile, reconnait-elle. À mon avis, il faut que les constructions contemporaines aient leur importance à Kazan, même si cela veut parfois dire préserver certains bâtiments modernes très moches en plein centre. »

Moitié musulmane, moitié orthodoxe

À l’heure actuelle, Kazan compte 48 mosquées, d’architecture souvent modeste ou au contraire très moderne. « Mais on continue d’en construire à chaque fois qu’un nouveau quartier est érigé », raconte Olga, spécialiste de l’Histoire de Kazan. La plus ancienne est la mosquée Al-Marjani, du nom d’un chef et intellectuel spécialiste des sciences naturelles. « La religion était interdite sous l’Union soviétique, se souvient notre guide, mais cette mosquée est restée ouverte même pendant cette période, ce qui en fait le lieu le plus sacré pour les musulmans de Kazan. » Tout comme la ville se partage entre les Russes et les Tatars à part à peu près égale, « environ 50 % des habitants sont orthoxes, 50 % sont musulmans. Beaucoup de familles sont mixtes. »


La plus ancienne mosquée de Kazan, la mosquée Al-Marjani, a été érigée dans les années 1760 sous le règne de Catherine II (Photo Arnaud Finistre)

Longtemps en mauvais état, le quartier tatar a retrouvé son éclat il y a quelques années (Photo Arnaud Finistre)

De la même manière que les deux religions cohabitent, le russe et le tatar constituent les deux langues officielles de la petite république – « mais l’alphabet est cyrillique même pour le tatar ». Olga rappelle alors que l’alphabet de la langue tatare fut arabe dans les années 1920, puis latin à partir de 1943 avant d’être cyrillique (même si à la différence de l’alphabet cyrillique courant, il nourrit quelques spécificités).

Si aujourd’hui, l’entente entre Russes et Tatars est au beau fixe, Kazan a eu ses révoltes. Fondée en 1005 et très prospère au XVème siècle, la capitale du Tatarstan a dû céder à Moscou qui convoitait alors ses voies commerciales. L’annexion par Ivan le Terrible de Kazan a longtemps été synonyme de rébellions sur fond de christianisation forcée.

Un boom touristique en 2015

Imposante – c’est peu dire, la cité universitaire fait honneur à ses quelque 46 000 étudiants, dont firent jadis partie Tolstoï, Gorki ou encore Lénine, avant que ce dernier ne soit chassé des bancs de l’université en raison de ses activités révolutionnaires. Mais, plus impressionnant, c’est le nombre de touristes que l’on retient à Kazan. Pour la seule période des vacances scolaires russes de janvier 2015, la Ville en comptabilise 70 000, lesquels touristes auraient rapporté plus d’un milliard de roubles, soit une quizaine de millions d’euros. Un score encourageant en ces temps de crise, estime Ilsur Metchine, maire de Kazan depuis 2005, qui rappelle que l’année précédente, pour la même période, 48 000 personnes “seulement” avaient choisi de visiter Kazan.

Des statistiques qui font assez facilement se hisser la capitale du Tatarstan dans le top-5 des villes les plus visitées de Russie. Grâce à son patrimoine historique, certes, mais aussi « grâce à sa programmation culturelle très riche. » Culturelle et sportive. Car le prochain défi pour la Ville est clair : il faut réussir le virage de la Coupe du monde de football 2018. Une bonne occasion d’ici trois ans de faire grande impression, pour un jour atteindre l’objectif affiché par Kazan : « attirer autant de touristes russes que de touristes étrangers. »


Le dragon, symbole de la ville, en contrebas de la mosquée Kul Sharif dans l’enceinte du kremlin de Kazan (Photo Arnaud Finistre)

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