Scène

Gérard Depardieu et Fanny Ardant à Moscou : l'interview

Par CAROLINE GAUJARD-LARSON

Gérard Depardieu et Fanny Ardant montent ce mercredi 7 octobre sur les planches du théâtre de l'Estrade à Moscou avec une œuvre de Marguerite Duras, "La musica deuxième". À quelques heures des trois coups, ils se sont confiés.

Fanny Ardant et Gérard Depardieu à Moscou, le 7 octobre 2015. (Photo Ksenia Yablonskaya pour La Dame de Pique)

Ce n’est pas votre première visite en Russie, qu’attendez-vous de cette représentation à Moscou ?

Fanny Ardant : Tout ! Je joue aujourd’hui dans une ville que j’aime, un texte que j’aime, avec un acteur que j’aime.

Gérard Depardieu : Pour moi pareil. Avec beaucoup d’émotion. Je pense que vous connaissez tous Marguerite Duras, en tout cas je l’espère, peut-être pas cette pièce mais c’était une grande amie comme Fanny, et j’ai eu l’impression de respirer avec Marguerite Duras. Ce n’est pas un théâtre de boulevard, c’est du théâtre profond, qui va chercher loin le sentiment amoureux. Et je suis très heureux de le faire ici à Moscou. Et puis de montrer ce dont sont capables des acteurs qui ne sont pas Stanislavki (Konstantin Stanislavski, ndlr) mais avec Duras, on est obligé de passer par des méandres stanislavskiens.

Est-ce les personnages que vous jouez dans cette pièce vous ressemblent dans la vraie vie ?

Fanny Ardant : Je pense que la marque d’un grand écrivain c’est qu’il écrit des personnages où l’on se retrouve toujours. Peut-être qu’il y a des choses de moi que je n’avais pas explorées mais que grâce au texte de Marguerite Duras j’ai exploré. Et je pense comme Marguerite Duras que l’amour est la chose la plus importante dans la vie. Donc quand j’ai lu ce texte c’était comme si c’était un pays que je connaissais.

Gérard Depardieu : Alors pour moi, comme je ne suis pas allé à l’école, je ne savais pas ce que c’était que de vrais textes. J’ai lu plus tard. Mais j’ai rencontré Marguerite Duras que je connais bien. Et je serais incapable de dire si ça me ressemble ou pas. Tout ce que je sais c’est que ça résonne en moi mais que je préfère que ce soit les mots de Marguerite Duras. C’est comme ça que je me découvre en interprétant les personnages. J’ai joué beaucoup de personnages historiques, c’est pour ça que j’aime les cultures des pays, la culture russe en premier parce que vous avez des personnages qui sont universels. Que ce soit des personnages de Tolstoï, Dostoïevski. Et Duras pour l’amour ou pour la compréhension de la magie entre un homme et une femme qui s’aiment, qui se séparent ou qui n’arrivent pas à se le dire véritablement. Je suis très heureux de dire des mots qui viennent de Marguerite Duras ou d’autres mots sur des personnages qui font que le théâtre existe.

Qu’est-ce que la Russie pour vous ? Est-ce que c’est l’Asie, est-ce que c’est l’Europe ? Comment placez-vous la Russie dans le monde culturel contemporain ? Vous sentez-vous proche de cette culture ?

Fanny Ardant : Je pense que la Russie fait partie de l’Europe. Rappelez-vous cette fameuse phrase du Général de Gaulle, « L’Europe, de l’Atlantique à l’Oural ». La place de la culture russe est prépondérante, pour la musique, pour la littérature, pour la poésie, pour l’innovation, que ce soit dans les ballets, dans la peinture. On ne peut pas imaginer l’Europe sans la Russie.

Gérard Depardieu : Moi, si la Russie ne fait pas partie de l’Europe, je viens m’installer en Russie, point ! Bien entendu que la Russie fait partie de l’Europe. Toute l’histoire de Ivan le Terrible qui a fait l’Asie jusqu’à l’Occident, c’est le grand souffle du monde, cette Russie. Il y a toujours une phrase qui résonne pour moi qui est qu’ « il n’y a pas de montagnes pour arrêter le vent. » Donc, évidemment je me sens très russe au fond de moi. 

Cyrano de Bergerac, le Comte de Monte-Cristo, Christophe Colomb et bien d’autres… M. Depardieu vous êtes connu pour avoir joué des rôles de personnages historiques des plus charismatiques, sachant que l’Histoire russe n’en manque pas. Quel autre personnage historique auriez-vous aimé jouer ?

Gérard Depardieu : J’en ai joué un il n’y a pas longtemps, Ivan le Terrible, dans l’opéra de Prokofiev que je trouve sublime. Et le cauchemar du Terrible, l’histoire de cet homme, même si Caligula est un agneau à côté du Terrible, c’est… Il y a plein d’autres personnages, il y a ceux de Dostoïevski, Liocha, Dmitri, Ivan et aussi Porphyre de Crime et Châtiment. Tous ces grands policiers, c’est extraordinaire.

Fanny Ardant : Moi il y a deux femmes que j’aurais beaucoup aimé jouer. Fanny Kaplan, celle qui a tiré sur Lénine. Et j’aurais aimé jouer la Kollontaï (Alexandra Kollontaï, ndlr). On disait que c’était une femme que Staline admirait parce qu’elle était libre et qu’elle avait quelque chose d’indestructible. Et puis une troisième femme, c’est Maria Youdina, la grande pianiste qui a eu le culot de répondre à Staline une lettre magnifique.

M. Depardieu, vous êtes devenu récemment citoyen russe, peut-être Fanny voulez-vous suivre cet exemple ? Mais Gérard Depardieu, est-ce que vous ne le regrettez pas vu la situation politique aujourd’hui, les sanctions… ? Pourquoi ne pas devenir citoyen des Etats-Unis ?

Gérard Depardieu : Les Etats-Unis ?! Jamais ! Je n’aime pas les Américains, ni même leurs films ni même leur culture. C’est un peuple qui a sans arrêt détruit l’autre. Ils se sont battus entre eux, ils ont détruit les Indiens, après ils ont fait l’esclavage, puis il y a eu la guerre de Sécession. Après ce sont eux les premiers qui ont utilisé la bombe atomique. Partout où ils passent ils font des foyers de merde. Non, je préfère être russe. Et puis si les Européens arrêtent d’écouter ces Américains, eh bien je serai le plus heureux, voilà. "Вот" !

Fanny Ardant : Moi je voudrais être une résidente privilégiée de la Russie.

Gérard Depardieu : Être en Russie, c’est déjà être privilégié.

Fanny Ardant : Mais moi je n’ai jamais eu de sentiment d’appartenance nationale bizarrement. J’ai toujours cru justement à la nationalité des esprits, des sentiments, des émotions…

Gérard Depardieu : C’est pour ça que Fanny est très russe !

Fanny Ardant : Moi j’ai été très étonnée d’apprendre que Cervantès était espagnol, que Dostoïevski était russe, que Mozart était autrichien. Pour moi, ils étaient du même pays que moi.

Gérard Depardieu, vous figurez sur la liste noire de l’Ukraine. Est-ce que cela vous dérange, est-ce que vous aviez prévu d’y aller ?

Gérard Depardieu : Non, je pense que cette liste, elle est déjà annulée. Elle n’est plus noire, elle est plutôt grise maintenant. Ils sont fait une liste noire pendant une journée et se sont rendus compte qu’il y avait trop de personnages dans cette liste noire. Ils l’ont donc annulée, la liste noire. Mais j’ai eu la chance de bien connaître l’Histoire de l’Ukraine, puisque j’ai été invité par M. Vladimir Kouchma, et aussi par Viktor Youtchenko avec qui j’ai d’ailleurs passé le Nouvel An orthodoxe dans sa datcha (maison de campagne russe, ndlr). Viktor Youtchenko est très très religieux. J’ai pu rencontré Mikhaïl Saakachvili qui était le président de la Géorgie mais dont j’ai ensuite appris qu’il était allié avec George Bush, qui a annexé l’Irak. Alors que tout le monde savait qu’il n’y avait pas de bombe mais enfin, c’est comme ça. En plus, Youtchenko et Kouchma m’ont raconté que l’Ukraine, sans même parler du Donbass, était un empire ottoman jusqu’en 1778. Et les Russes de la Grande Catherine se sont battus contre les Ottomans avec les Français et les Anglais. Et les Ottomans ont perdu. Et la Crimée est devenue russe. Voilà! "Никому платить не будем !" (en français, « Nous ne paierons personne », ndlr)

M. Depardieu, est-ce vous venez plus souvent en Russie depuis que vous avez le passeport russe ? Est-ce que cela change quelque chose dans votre quotidien ?

Gérard Depardieu : J’adore le passeport russe. Même si j’ai entendu des messieurs, comme ce vieux metteur en scène dont j’ai oublié le nom, qui trouvaient ça lamentable de donner un passeport à un ivrogne comme moi. Je pense à acquérir bientôt un appartement à Moscou et une petite maison à Saransk (République de Mordovie, ndlr). Mais j’ai vraiment envie aussi d’aller en Sibérie, je suis très heureux et je pense que partout où je passe, même en Amérique, tous me demandent, mais fais voir ton passeport russe ! Alors je leur montre le passeport russe (il le montre, ndlr).

Fanny Ardant et Gérard Depardieu à Moscou, le 7 octobre 2015. (Photo Ksenia Yablonskaya pour La Dame de Pique)

Le spectacle de ce soir parle d’amour. Qu’est-ce que c’est l’amour pour vous ? C’est une danse ou c’est un combat ? Et si une femme vous plait, dans quel endroit sur la Terre l’emmèneriez-vous ?

Gérard Depardieu : Je l’emmènerai au lac Baïkal, en Sibérie, avec ses grands arbres et sa neige, dans une petite maison en bois, avec un feu, une couette et on vivrait nus dedans. Et il f’ra bon y être, avec presque pas d’murs! Voilà, et l’amour, l’amour, qu’est-ce que c’est ? Mais c’est un sentiment extraordinaire. L’amour c’est l’apesanteur, c’est la joie, c’est la grâce. Mais pas la grâce du Seigneur, c’est la grâce de la liberté. C’est dommage que ça ne dure pas tout le temps. Mais les ruptures aussi sont belles, même si elles font mal. Mais quelqu’un qui aime a toujours raison.

Expliquez-nous le titre de la pièce que vous jouez ce soir, La Musica deuxième.

Gérard Depardieu : Il y avait une première Musica, qui parlait de l’histoire de ce couple. La Musica deuxième cherche à comprendre les raisons de leur rupture. Moi comme musique j’adore Mussorgski, bien sûr, le génie Prokofiev. Stravinski. Prokofiev a d’ailleurs beaucoup été repris par les cinéastes italiens pour leurs musiques de films.

Fanny Ardant : Moi je voudrais ajouter une chose que n’a pas dit Gérard. Je pense que l’amour dure toujours. Et que La Musica deuxième, c’est la démonstration que même en s’étant séparés, en ayant tout détruit, ils s’aiment toujours. Moi j’aime beaucoup la musique obsessionnelle. Parce que je suis de nature obsessionnelle.

Quelle est la différence entre les publics français et russe ? Des représentations prévues dans les régions russes?

Fanny Ardant : Moi j’aimerais beaucoup jouer la pièce à Saint-Pétersbourg, la ville de Pouchkine qui a parlé du gâchis de l’amour.

Gérard Depardieu : On a joué la pièce à Irkoutsk (Sibérie orientale, ndlr). Moi j’adore l’écoute, le respect du public russe. D’abord, j’ai constaté que le public était beaucoup plus engagé. À l’opéra, au théâtre, je ne parle pas du cinéma… Les opéras, les ballets, le théâtre, Tchekhov, les adaptations de Tchekhov sont d’ailleurs très fréquentes à Paris. J’aime que le public aille dans les salles, qu’il ne soit pas arrêté par le prix des places. J’aime particulièrement le public russe.

C’est justement le grand pianiste Denis Matsuev qui vous a invité à Irkoutsk. Comment l’avez-vous rencontré ?

Fanny Ardant : Moi je l’ai rencontré à l’anniversaire de Vladimir Spivakov (célèbre chef d’orchestre, ndlr). Et là, Denis a joué avec une force incroyable, du Gershwin. Après je l’ai vu à l’opéra Bastille à Paris. Et il m’a dit, ce serait bien qu’un jour vous veniez à Irkoutsk. Plus tard, j’ai téléphoné à Gérard et je lui ai demandé si ça lui disait de venir dire avec moi La Musica sur le lac Baïkal.

Gérard Depardieu : Et j’ai découvert ce qu’il faisait là-bas avec de jeunes musiciens. Il y avait d’ailleurs un jeune Français qui a remporté le prix Tchaïkovski. J’ai vu l’enthousiasme et le battement de cœur de tous ces musiciens, qu’ils soient italiens, français, américains, … La musique a un langage propre. L’harmonie est un autre langage qui n’a pas de frontières. Et donc Denis Matsuev anime ce nouveau langage, et ces gens qui le pratiquent sont heureux, en symbiose.

Fanny Ardant et Gérard Depardieu à Moscou, le 7 octobre 2015. (Photo Ksenia Yablonskaya pour La Dame de Pique)

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