Scène

Danse contemporaine : le Balet Moskva à la pointe

Par GUILLAUME HOUSSE

Fondé en 1989 et dirigé depuis 2012 par Elena Tupiceva, le Balet Moskva est aujourd’hui la première troupe de danse et de ballet contemporains de Moscou. C’est aussi l’une des rares de Russie à avoir porté la discipline à un niveau international.


Café Idiot © Rust2D

La Russie est le pays de la danse : ce sont les lumières éternelles du Bolchoï, l’avant-gardisme de Nijinski et des ballets de Diaghilev, la modernité de Nureev et tant d’autres noms illustres. Pour d’autres, c'est davantage un certain folklore, les danses cosaques ou les lezginki du Caucase. Parlons maintenant de danse et de ballet contemporains ; il est tout à coup moins aisé de citer une référence russe.

Car la scène contemporaine de Russie, y compris à Moscou, il est vrai, reste bien pauvre en comparaison de ce qui existe en Europe, aux Etats-Unis et en Asie. Seule l'énergie d'une poignée de passionnés couplée à la fidélité d’un public curieux font qu’une scène émergente parvient à exister. À ce titre, le Balet Moskva tient un rôle majeur. 

Fondée en 1989 par la Ville de Moscou, la formation se compose dès les débuts d’une troupe dédiée à la danse contemporaine et d’une troupe de ballet contemporain, une évolution du ballet classique encore relativement méconnue en France – la plupart des techniques classiques peuvent y être utilisées, y compris les pointes, tandis que le corps prend ses libertés, en particulier dans les mouvements du buste et des bras. Qui dit ballet contemporain dit généralement structure narrative assouplie, prête à exploser, et qui peut se trouver portée par n'importe quelle musique ou ambiance sonore. Georges Balanchine est souvent considéré comme l'initiateur du genre.

C’est justement dans cette discipline que les jeunes chorégraphes russes s’illustrent le mieux – c’est d'ailleurs avec plusieurs d’entres eux qu’Elena Tupiceva et le Balet Moskva construisent une part importante de leur répertoire. Kirill Simonov, Anastasia Kadruleva, Artem Ignatiev, pour ne citer que quelques noms, proposent ainsi chaque année des créations originales à la troupe. On se rappelle par exemple le spectacle Equus, espace étrange entre le studio de danse et l’écurie ou bien Vremeni Goda, variations libres sur les Quatre saisons d’Antonio Vivaldi, mais aussi variations visuelles et musicales grâce au travail du compositeur Vladimir Martynov.


Equus (Photo DR)

Créer un répertoire original : telle est la mission que s’est fixée la nouvelle équipe dirigeante du Balet Moskva voilà bientôt cinq ans. Avec plus de vingt spectacles à l’affiche pour la saison actuelle, le Balet Moskva a brillamment relevé ce défi, tout en garantissant une grande variété de programmation. Pour un public européen, habitué à retrouver d’un spectacle à l’autre la marque de fabrique propre à chaque troupe, l'éclectisme du Balet Mosvka, lui, peut surprendre. Ici, le spectateur doit accepter qu'à chaque nouvelle création soit remis en jeu ses repères et ce qu’il pensait connaître d’un chorégraphe, d’un danseur. À ce titre, la programmation de danse contemporaine est sans doute celle qui réserve le plus de surprises.

En matière de danse contemporaine justement, une difficulté de taille persiste pour la troupe moscovite : très peu de chorégraphes russes choisissent en effet d’évoluer dans ce domaine, tout du moins sur le territoire russe. C’est donc avec des chorégraphes étrangers que, petit à petit, les danseurs ont réussi à composer un répertoire unique en Russie. Comme avec le chorégraphe autrichien Chris Haring et son Frozen Laugh, en 2015, un spectacle extrêmement dérangeant au cours duquel le corps et la voix des interprètes étaient comme déshumanisés, forçant le public à composer avec des fragments de mouvements, de paroles, de rires, avant que ces fragments ne se reforment pour se briser à nouveau.


Frozen Laugh (Photo DR)

Pour admirer un tel spectacle, il est une adresse moscovite incontournable : le Centre Meyerhold. L'expérience, parfois déstabilisante, ne séduit pas tout le monde, mais il est frappant de constater à quel point un fossé s’est créé entre ce genre de spectacles et les autres productions proposées dans la capitale russe. Pour Elena Tupiceva, directrice du Balet Moskva, c’est aussi pour préserver ce contraste qu’il est devenu primordial que sa troupe contemporaine puisse se nourrir d’échanges réguliers avec des chorégraphes étrangers. Notamment pour pallier le fait que la Russie ne propose aucun cursus officiel d'apprentissage de la danse contemporaine, obligeant bien souvent les danseurs à se tourner d'abord vers la danse classique ou la danse folklorique avant de, peut-être, par le biais de rencontres et d'affinités personnelles, s'épanouir finalement en tant que danseurs contemporains.

Dans cette perspective, la directrice du Balet Moskva a participé en 2000 à la création du du TSEKH (ЦЕХ), un festival de danse contemporaine, par ailleurs structure permanente de formation et de diffusion d’information sur les nouvelles tendances. Si le festival n’existe plus, le centre TSEKH continue de proposer une programmation d'importance et garantie un espace de formation et d’échange exceptionnel pour les jeunes danseurs.

Pour la saison 2016-2017, le Balet Moskva a ouvert avec la première de Every Direction Is North, de Karine Ponties – chorégraphe franco-belge de la troupe permanente belge Dame de Pic. La création, passionnante, proposait un spectacle entre hommes, sans pause, qui ne laissait pas une minute de répit. Pour Tatyana Safonova, productrice du spectacle, « les années les plus difficiles de la troupe moscovite sont derrière elle ». Le Balet Moskva a réussi à créer une troupe de danse de niveau international. Reste maintenant à maintenir ce niveau, à continuer de proposer de nouvelles créations novatrices pour la Russie mais aussi et surtout, à promouvoir ce travail à travers le monde. 

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Every Direction Is North © Rust2D

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