Voyage

Avtozavod : le moteur de la Volga tourne toujours

Par La Dame de Pique

À partir de ce lundi et jusqu'au 7 juillet se tient le Festival 3T à Nijni Novgorod. Organisé par l'Alliance française et la Ville de Nijni Novgorod, ce festival propose des activités artistiques et linguistiques, mais aussi des excursions touristiques. La Dame de Pique a testé la visite guidée du quartier Avtozavod, construit autour de la mythique usine automobile.


La rue Pokrovskaya, principale artère piétonne de Nijni Novgorod (Photo Kseniya Yablonskaya)

Au programme et au choix : le kremlin, le musée d'isbas ou encore un village artisanal. C'est finalement le quartier Avtozavod et son musée de l'automobile qui l'emporte ce jour-là. Notre guide pour l'occasion, Lioubov, se dit surprise de ce choix. Peut-être parce que cette professeure de français habite ce quartier, qu'elle y est née, y a grandi. Et le connait par cœur. De l'histoire de sa gigantesque usine automobile à celle du moindre de ses bâtiments construit alentour.

Une connaissance approfondie du lieu, qui fait aussi le quotidien de Lioubov et pourrait gâter son enthousiasme. Il n'en est rien. Depuis le centre-ville de Nijni Novgorod où rendez-vous a été pris avec notre guide, il faut emprunter l'une des deux lignes de métro de la ville, direction l'extrême sud de Nijni Novgorod et descendre au terminus, « Park Kultury ». Pourquoi le terminus de la ligne, alors que trois stations plus tôt s'annonce la station « Avtozavod » ? « Parce que, prévient Lioubov, l'usine automobile s'étend sur pas moins de trois stations ! »

« La décision de construire l'usine automobile GAZ (pour Gorkovski Avtomobilni Zavod) remonte à 1929 », commence-t-elle. À cette époque, Nijni Novgorod s'appelle encore Gorki. C'est déjà un nœud de transports important et une région indiquée pour y fonder une usine automobile là où, jusqu'alors, sur la rive droite de Nijni Novgorod, on ne trouve que villages et marais. « 1929, c'est la crise aux Etats-Unis, continue Lioubov. L'industriel automobile Ford s'intéresse au grand projet soviétique qui donnera GAZ, en coopération avec le géant américain. Seulement dix-huit mois après la décision de construire l'usine, un premier camion quitte la chaine de montage. »


Lioubov a grandi dans le quartier Avtozavod. Ici devant l'entrée principale de l'usine automobile GAZ (Photo Kseniya Yablonskaya)

Vite, grand et bien : ainsi pourrait-on résumer la production automobile GAZ à écouter Lioubov. Pour ce qui est de la construction et du développement du quartier qui entoure l'usine jusqu'à aujourd'hui, quelques nuances sont apportées. Mais, de manière générale, « dès le début, un très bon plan de développement a été élaboré avec un district composé d'une usine, de logements, de commerces, d'infrastructures culturelles et sportives et puis, surtout, de parcs ! Encore aujourd'hui, Avtozavod est le quartier le plus vert de la ville. »

Alors que débute notre excursion, place Kissilov, Lioubov détaille chacun des bâtiments imposants qui parsèment le quartier. « Cette place Kissilov, c'est un peu notre place de l'Etoile! compare-t-elle. Elle dessert tous les grands axes. » Le Palais de la Culture (l'un des plus grands de Russie occidentale), le monument à Kissilov (l'un des derniers directeurs de l'usine GAZ), l'hôpital, le parc principal… Lioubov énumère les dates et les contextes de construction de chacune des réalisations, non sans en vanter la fonctionnalité et le luxe pour l'époque. Elle prend plaisir à décrire les bâtiments d'habitation dédiées à l'élite d'alors : les meilleurs employés et les cadres de l'usine. « Voici le premier quartier résidentiel », montre-t-elle. Avant d'en indiquer un peu plus loin un autre, beaucoup plus modeste dans son souvenir et qui a aujourd’hui disparu. « En 1931, le district de l'usine comptait 30 000 personnes, en 1940, 137 000 ! Il a alors fallu beaucoup plus de logements. Faute d'argent, de matériaux et de temps, on a commencé à construire des baraques, un genre de maisonnettes de planches très rudimentaires. Un océan de baraques !»

Arrivée devant le principal centre commercial du quartier, Lioubov vante son architecture : « son créateur, Napelbaum, a même reçu le prix Staline pour sa conception dans les années 1930. » Et puis, « derrière les arbres là-bas, c'est l'hôpital, construit en 1937. Vu d'en haut, on s'aperçoit qu'il a la forme de la croix gammée ! Eh oui, parce que cette année-là, il a été construit en coopération avec des spécialistes allemands, fait remarquer Lioubov. Depuis, on a coupé quelques petits bouts pour atténuer sa forme, précise-t-elle, mais du ciel, c'est toujours visible. »

Et puis « là, vous avez l'un des premiers complexe de bâtiments, son architecture est clairement inspirée du classicisme. Regardez ces colonnes et ces balcons, c'est déjà luxueux. C'est pour les meilleurs employés. » C'est ce moment que choisit notre guide pour se confier sur l'histoire de sa famille, une histoire familiale vécue au rythme de celle de l'usine automobile sur près de huit décennies.


Musée de l'automobile, dans le quartier Avtozavod de Nijni Novgorod (Photo Kseniya Yablonskaya)

« On m'a enseigné l'idée – une idée que j'ai d'ailleurs toujours gardé à l'esprit – qu'il fallait bien travailler pour réussir », dit Lioubov. À l'école mais aussi plus tard, à l'âge adulte. « Mon père était conducteur de camions. Ma mère, elle, est arrivée dans le district en 1938. Elle était orpheline, précise sa fille, et arrivait d'un village situé à 300 km au sud de Nijni Novgorod. Elle voulait étudier plus que tout, c’était son rêve. Mais, comme toute jeune paysanne, son éducation était basique. D'abord jeune fille au pair, elle a fini par entrer comme simple employée dans l'usine automobile. C'est à cette époque qu'elle a commencé à écrire un journal intime que je garde aujourd'hui encore précieusement ! Chaque fois que je me mets à le lire, je commence à pleurer. »

Un journal dans lequel la mère de Lioubov raconte son quotidien, un quotidien particulièrement difficile pendant la Seconde guerre mondiale et où il fait faim. « Ma mère travaillait dix ou douze heures par jour, raconte Lioubov. Puis elle rentrait chez elle et se mettait à écrire : « Aujourd'hui, j'ai bu du thé. Ensuite, je me suis couchée ». Et puis le matin, « je me suis levée, et j'ai bu du thé »… Ma mère avait vingt ans. C'était très dur, ce n'était pas la famine mais presque. »

Lioubov revient alors à des considérations plus générales et explique que la Ville avait planifié cinq arrondissements dans le district Avtozavod et qu'aujourd'hui, ce dernier compte 306 000 habitants. « Tout a été prévu ! assure-t-elle. Et aujourd'hui, tout fonctionne encore. J'espère juste qu'on va aménager davantage notre district. Mais pour l'instant, c'est le plus vert de la ville et le plus propre ! »

Quelques façades de bâtiments d'architecture staliniennes et ses ornements plus tard, c'est au tour des écoles. « Notre district en compte 45 pour près de 25 000 écoliers. Sans compter les établissements d'enseignement supérieur, comme la Haute école d'économie. » Le bâtiment de cette école-ci est énorme, fait-on remarquer. « Normal! », dit notre guide amusée. Et d'ajouter que « pendant la guerre, toutes les écoles ont été transformées en hôpitaux pour soigner les blessés. »

Après la guerre, « des prisonniers allemands ont été amenés ici pour terminer certains travaux de construction, raconte Lioubov. Je dois dire que l'attitude des habitants envers ces prisonniers était tout à fait normale : c'était des ouvriers, ni plus ni moins, ils inspiraient plutôt de la pitié. Ils étaient mal nourris et travaillaient dur. » C'est alors que Lioubov indique un monument à la gloire d'Alexandre Bousseguine. Un directeur d'usine peut-être ? « Non, un ouvrier remarquable. Ce forgeron a été décoré de l'ordre soviétique de l'Etoile d'or. Ici, c'est sa statue. »


Une Tchaïka, la voiture des dirigeants soviétiques, au Musée de l'automobile (Photo Kseniya Yablonskaya)

Comme nous passons devant une gare supposée être une « miniature », notre guide explique : « cette gare de chemin de fer date de 1939, c'est la gare pour les enfants ! Ce sont les komsomolets (membres de l’Organisation des jeunesses communistes, ndlr) qui l'ont construite pour préparer les enfants au travail futur. Quand j'étais petite, se souvient Lioubov, j'ai fait le voyage. Il y a quatre stations. Il y en une surtout dont je me souviens, qui ressemble à une scène d'un conte de Pouchkine. Avec le festival 3T, vous avez d’ailleurs la possibilité de choisir ce trajet parmi les excursions proposées. »

Finalement, nous arrivons devant l'entrée principale de l'usine, qui peut être visitée sur autorisation officielle délivrée au préalable. « Le quartier Avtozavod fait penser à la ville américaine de Détroit, raconte Lioubov, sauf que contrairement à Détroit, ici, tout continue de fonctionner ! » Même au Musée de l'automobile que nous rejoignons un peu plus loin, « tous les véhicules sont en état de marche, prévient notre guide. Laquelle montre tour à tour camions blindés, véhicules tous terrains, voitures Volga, Tchaïka et autres bolides futuristes visiblement jamais commercialisés.

« Aujourd'hui encore, nous fabriquons les camionnettes GAZ et même des voitures en coopération avec des marques étrangères, précise Lioubov avant de s'extasier, inlassable, sur le tableau de bord boisé d'une belle Tchaïka noire, la voiture des dirigeants.

Si Nijni Novgorod n'a jamais rivalisé avec Moscou, « c'est bien normal. On ne rivalise pas avec la capitale, assène Lioubov. Mais comme on dit – que ce soit Nijnji Novgorod à l'est, Smolensk à l'ouest, Iaroslav au nord ou Toula au sud, c'est l'entourage qui fait le roi. »

Retrouvez la programmation complète du Festival 3T de Nijni Novgorod


Vue sur la rivière Volga depuis le kremlin de Nijni Novgorod (Photo Kseniya Yablonskaya)

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